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Trente-sept pays se sont engagés en faveur d’un moratoire interdisant l’exploitation minière des fonds marins à l’occasion du sommet des océans qui s’est déroulé jusqu’au 13 juin à Nice. Cette décision répond à l’inquiétude croissante des scientifiques, qui insistent sur le fait que ces milieux restent largement méconnus. « On connaît mieux ce qui se passe à 380 000 km de la planète sur la Lune que ce qui se passe à 11 km de profondeur, dans la fosse des Mariannes, la fosse océanique la plus profonde », souligne Pascale Joannot, océanographe et présidente du conseil scientifique de la Fondation de la mer.
Cependant, certains pays ne respectent pas le droit international. Les États-Unis, par exemple, ont levé fin avril les restrictions sur l’exploitation des fonds marins dans leurs eaux nationales et internationales via un décret présidentiel, défiant ainsi l’Autorité internationale des fonds marins, une instance onusienne chargée de réguler cette activité au-delà des juridictions nationales. Pourtant, les grands fonds marins sont considérés comme un patrimoine commun de l’humanité.
Ressources stratégiques et indépendance géopolitique
Les fonds marins regorgent de métaux stratégiques tels que le zinc, le cobalt, le cuivre et le manganèse. Moins connu, on y trouve également des terres rares, présentes dans des concentrations faibles mais néanmoins plus élevées qu’ailleurs, d’après Eva Moreno, maître de conférences au Muséum national d’histoire naturelle. Ces métaux sont cruciaux pour les technologies de pointe et la transition énergétique, notamment dans la fabrication de batteries électriques et de panneaux photovoltaïques.
La dépendance aux métaux fournis majoritairement par la Chine—qui domine avec 70 % de la production mondiale—pousse certains pays comme les États-Unis à vouloir diversifier leurs sources d’approvisionnement en lançant des projets miniers en mer. The Metals Company, une entreprise canadienne, affiche clairement l’objectif de créer une chaîne d’approvisionnement américaine indépendante.
Des “perles de métal” uniques au fond des océans
Les terres rares regroupent des éléments comme le scandium, l’yttrium et les 15 lanthanides, avec des propriétés magnétiques, optiques et électroniques particulières qui les rendent très recherchés. Ces éléments se trouvent principalement dans deux types de formations océaniques : les nodules polymétalliques et les encroûtements d’hydroxydes de fer et de manganèse.
Plongés à 4 000 à 6 000 mètres de profondeur, les nodules polymétalliques, sortes de galets mesurant entre 5 et 10 centimètres, se forment très lentement autour d’un noyau, souvent un grain de sable ou une coquille, par accumulation successive de couches métalliques à raison d’environ 1 cm par million d’années, décrit Pascale Joannot.
Premières démarches d’exploitation commerciale
Ces nodules sont particulièrement intéressants pour leur teneur en métaux comme le nickel, le cuivre et le cobalt. Dans la zone de Clarion-Clipperton, située dans le Pacifique Nord, on estime la présence potentielle de 34 millions de tonnes de nodules. C’est dans cette région que l’entreprise The Metals Company a déposé la première demande commerciale d’exploitation des fonds marins auprès des autorités américaines, conformément au décret présidentiel américain du 29 avril.
Les encroûtements cobaltifères, formés sur des monts sous-marins ou proches des volcans, présentent une concentration plus élevée en cobalt et contiennent également des terres rares, avec des concentrations moyennes autour de 0,2 %. À titre de comparaison, les plus grands gisements terrestres en Chine, aux États-Unis ou en Australie contiennent entre 5 et 10 % de terres rares, selon le rapport d’expertise du CNRS et de l’Ifremer de 2014 sur l’impact environnemental de l’exploitation minière marine profonde.
Enjeux environnementaux et risques pour la biodiversité
« Ce sont des estimations, nous ne connaissons pas encore précisément ces milieux », avertit Pascale Joannot, soulignant que l’exploitation minière risque de détruire des écosystèmes fragiles et inconnus. La récolte des nodules engendrerait des nuages de sédiments susceptibles de perturber les organismes marins dépourvus de nageoires ou de pattes, risquant ainsi un étouffement. La biodiversité en profondeur reste largement inexplorée : seulement 5 % des grands fonds marins ont été cartographiés, alors qu’ils représentent 54 % de la surface terrestre.
Selon Bruno David, coordinateur du rapport commandé par Emmanuel Macron pour le sommet des océans sur l’exploitation minière en milieu océanique, « les connaissances actuelles sont insuffisantes pour évaluer les conséquences d’une telle exploitation, notamment sur le cycle du carbone, que l’océan stocke en grande quantité ». Ce rapport plaide pour un moratoire de dix à quinze ans, appliqué par précaution, afin de mieux comprendre ces environnements avant toute exploitation.