Sommaire
L’essentiel
- La septième des neuf limites planétaires, l’acidification des océans, est désormais considérée comme franchie par l’Institut de recherche sur le climat de Potsdam.
- Les seuils définis pour ces limites font l’objet de débats parmi les scientifiques, certains les jugeant subjectifs ou insuffisamment étayés.
- Malgré les controverses, le concept des limites planétaires permet de mesurer l’ampleur des crises écologiques et souligne l’urgence d’agir.
Nouvel avertissement : l’acidification des océans, considérée comme la septième des limites planétaires, aurait été dépassée selon le dernier rapport annuel de l’Institut de recherche sur le climat de Potsdam (PIK). Ces neuf limites, établies pour identifier les processus cruciaux garantissant la stabilité et la résilience du système Terre, visent à définir des bornes à ne pas franchir pour préserver des conditions de vie sûres et durables.
Introduit en 2009 par une trentaine de chercheurs dans la revue Nature, ce cadre pluridisciplinaire met en relation les crises environnementales — changement climatique, perte de biodiversité, pollution, perturbations du cycle de l’eau ou de la couche d’ozone — afin d’en appréhender les interactions et l’ampleur globale.
Des seuils jugés subjectifs ?
Pour chaque limite, des seuils chiffrés ont été proposés, au‑delà desquels les conditions pour l’humanité seraient compromises. Mais ces valeurs suscitent des critiques au sein de la communauté scientifique. Laurent Bopp, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de l’océan à l’Institut Pierre‑Simon‑Laplace, estime que « la manière dont sont définies les limites est largement subjective et pas toujours basée sur une science très solide ».
Concernant l’acidification des océans, il conteste le choix d’une valeur présentée comme seuil : selon lui, il ne s’agit pas d’un point de bascule géophysique, biologique ou écosystémique clairement identifiable. Autrement dit, l’idée qu’il existe une coupure nette entre des conditions acceptables et des conséquences dramatiques est trompeuse, d’autant que l’acidification produit déjà des effets avant d’atteindre ce seuil.
Il met aussi en garde contre les « fausses solutions » : définir un seuil pourrait conduire à des propositions techniques ou politiques inappropriées, et risquerait de relâcher les efforts une fois un palier atteint. « Si on franchit le 1,5 °C de hausse des températures globales, l’objectif, après, est de rester le plus proche possible de cette valeur, pas de laisser tomber ou de trouver des solutions extravagantes pour faire redescendre ces températures », explique‑t‑il.
Mettre en évidence l’urgence
Pour Nathanaël Wallenhorst, membre de l’Anthropocene Working Group et auteur de l’ouvrage 2049 – Ce que le climat va faire à l’Europe, les critiques sont naturelles et productives : « Dans les systèmes complexes, il y a forcément de la complexité, et dès qu’il y a de la complexité, il y a du hasard, donc de l’incertitude ». La controverse scientifique, ajoute‑t‑il, est essentielle.
Ces incertitudes n’altèrent toutefois pas le message central porté par le concept de limites planétaires. Wallenhorst emploie la métaphore du lait sur le feu : on ne sait pas exactement quand il débordera, mais on sait qu’il finira par déborder si on l’oublie. Pour le climat, l’idée est similaire : si la trajectoire actuelle se poursuit, la vie en société deviendra extrêmement difficile — famines, pénuries d’eau, conflits, chaos — indépendamment des chiffres précis des seuils.
« Interpeller les sociétés »
Malgré les réserves, Laurent Bopp reconnaît l’utilité du concept : rassembler dans un même cadre les grandes crises environnementales est pertinent, alors qu’elles sont souvent traitées séparément. Le modèle attire l’attention sur des problématiques moins médiatisées, comme l’acidification des océans, en stimulant le débat sur leurs causes, leurs conséquences et les pistes d’action possibles.
Pour Nathanaël Wallenhorst, la force du modèle est d’inciter des experts à mobiliser leur savoir pour interpeller les sociétés, montrer l’ampleur des risques et appeler à l’action. Les seuils proposés servent de base à une discussion collective — publique et politique — destinée à définir des limites acceptables et à traduire ces choix en politiques publiques, souligne Laurent Bopp.
