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Nouvelle alerte aux marées vertes. Alimentées par les déjections d’élevages et les engrais azotés, les algues vertes pullulent en baie de Morlaix (29), jusqu’à étouffer les huîtres qui y sont élevées. Ce phénomène, probablement aggravé par le réchauffement climatique, menace sérieusement les ostréiculteurs locaux et leur activité.
L’ostréiculture menacée de disparaître
« C’est une vraie invasion », explique Marc Le Provost, 58 ans, debout au milieu d’un parc ostréicole de Carantec (Finistère), tenant une huître enlacée dans un amas d’algues vertes.
Le responsable d’exploitation des Huîtres Cadoret alerte depuis plusieurs mois sur la prolifération croissante des algues dans la baie de Morlaix. « Depuis 2 ou 3 ans, la masse d’algues a fortement augmenté », précise-t-il. « Si cette tendance perdure, dans 10 à 15 ans, l’ostréiculture ne sera plus viable ici… elle risque de disparaître ».
Ces marées vertes génèrent des « milliers d’heures » supplémentaires de travail pour les ostréiculteurs qui doivent continuellement remettre les algues en suspension dans l’eau, afin d’éviter qu’elles ne pourrissent au fond et étouffent les huîtres. Un bateau initialement destiné à la production est désormais utilisé exclusivement pour remuer les tonnes d’algues accumulées dans les parcs ostréicoles.
Comme les ulves s’accrochent aux huîtres, les ostréiculteurs ne peuvent pas décharger la masse verte sur la terre ferme sans risquer de perdre une partie de leur production.
Coexistence impossible
« Si ce problème n’est pas géré, la conchyliculture est sérieusement menacée dans la baie de Morlaix », confirme Fabrice Pernet, chercheur et spécialiste des huîtres à l’Ifremer.
Selon lui, les ulves et les huîtres sont « totalement incompatibles » ; leur coexistence est impossible. Ces algues invasives déstabilisent l’écosystème, concurrencent le phytoplancton qui nourrit les mollusques marins, et asphyxient le milieu en réduisant la teneur en oxygène de l’eau.
« Moins d’oxygène signifie une croissance plus faible », souligne Fabrice Pernet, qui ajoute que les algues vertes affaiblissent les défenses immunitaires des huîtres, les rendant plus vulnérables.
Avec d’autres chercheurs, il a démontré que la mortalité des huîtres infectées par un virus herpès très répandu doublait en présence d’algues vertes.
6,6 millions de cochons
Bien que présentes naturellement, ces ulves prolifèrent à cause des quantités massives de lisier et d’engrais azotés épandus dans les champs, dont les excès sont lessivés par la pluie vers les fleuves bretons, puis entraînés jusqu’aux côtes.
En 2023, la Bretagne comptait 6,6 millions de porcs, ce qui en fait la sixième région porcine d’Europe, concentrant plus de la moitié du cheptel français sur 5 % seulement du territoire national. Cela représente presque deux cochons par habitant et jusqu’à 3 000 porcs au km² dans certaines zones du pays du Léon.
Bien que la concentration de nitrates dans les fleuves bretons ait diminué au cours des vingt dernières années, elle reste suffisante pour nourrir les marées vertes dès que les conditions météorologiques favorables apparaissent.
La loi Duplomb ne va rien arranger
Ces dernières années, des printemps plus ensoleillés, combinés à une mer plus chaude, ont favorisé la prolifération précoce des algues vertes, à une période où les fleuves transportent de fortes quantités de nutriments vers la mer, explique Sylvain Ballu, chef de projet surveillance des marées vertes au Centre d’étude et de valorisation des algues (Ceva). « La période de prolifération est plus longue et se situe sur une fenêtre climatique plus favorable », précise-t-il, en évoquant un possible effet du réchauffement climatique, dont la montée des températures océaniques atteint des records depuis 2023.
La loi Duplomb, adoptée au Parlement le 8 juillet, facilite l’agrandissement ou la création de bâtiments d’élevage intensif. Arnaud Clugery, porte-parole de l’association Eau et rivières de Bretagne, estime que cette mesure ne fera qu’aggraver la situation : « C’est une autoroute pour les élevages porcins. Or, historiquement, c’est avec le développement de l’élevage hors-sol en Bretagne que les marées vertes sont apparues. »
En 2021, la Cour des comptes confirmait que ce phénomène est « à plus de 90 % d’origine agricole ».
