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Imaginez être une espèce de pigeon terrestre confinée à un seul endroit du monde, vivant sur une île où les prédateurs sont rares et la nourriture abondante. Votre vie se déroule dans ce petit paradis insulaire jusqu’au jour où des navires en bois accostent sur le rivage et déchargent des humains sans poils qui abattent des arbres, libèrent des animaux inconnus et perturbent l’écosystème. Peu à peu, vos congénères deviennent plus rares et vous aussi risquez de disparaître, souvent brutalement. Pendant des siècles, votre espèce restera dans l’histoire comme un triste échec de la nature.
Le dodo était plus fort et plus intelligent que ce que l’on pensait

Beaucoup d’erreurs ont été faites dans les descriptions des anciens animaux, mais cela s’explique. Le dodo, descendant d’un oiseau terrestre, montre que l’on peut se tromper sur une espèce même après des siècles. On l’a longtemps décrit comme rond et maladroit, trop confiant pour survivre à ses voisins arrivés récemment. Cette image est née du manque de données et de récits peu fiables. Des recherches récentes — dont des modèles numériques 3D des restes du dodo — suggèrent une morphologie robuste, capable de se mouvoir dans les forêts rocheuses de l’île Maurice et, selon certaines analyses, un odorat développé et peut-être une intelligence comparable à celle d’un pigeon.
Comment les gens du passé décrivaient et représentaient l’oiseau

Étant donné les écarts entre le vrai dodo et ses descriptions au fil des siècles, on peut se demander à quel point les narrateurs et artistes furent fiables. Selon un article de 2006, l’un des premiers récits décrivant le dodo provient d’un marin néerlandais en voyage à Maurice en 1598, évoquant un oiseau incapable de voler et aux ailes d’une taille proche de celles d’un pigeon. Des explorateurs portugais l’auraient même appelé un « penguin ». Des gravures datées de 1601 mettent en évidence un corps rond, une tête en dôme et un bec crochu; d’autres représentations, dont la peinture d Roelant Savery et l’influence de l’illustration de John Tenniel pour Alice au pays des merveilles, ont renforcé l’image étrange et apparemment vide de l’oiseau. Linnaeus lui-même, considéré comme le père de la taxonomie, avait évoqué un nom latin évoqué puis abandonné.
Les humains n’ont probablement pas chassé l’espèce jusqu’à l’extinction

Dès le début, certains experts pensaient que le dodo avait été exterminé par les marins néerlandais après l’arrivée européenne. Après l’installation des colons, on prétendait qu’il fallait moins d’un siècle pour épuiser la population. Des passages décrivent des dodos capturés et apportés à bord, puis consommés par des marins affamés, tandis que d’autres rapports les décrivent durs et peu appétissants. En définitive, l’hypothèse la plus plausible est que la chair du dodo n’était pas détestable, mais que des options plus accessibles sur l’île, comme les pigeons et les perroquets, existaient en abondance; la chasse n’apparaît donc pas comme le seul moteur direct de l’extinction.
La concurrence et la prédation ont aidé à tuer le dodo

La chasse a sans doute joué, mais les témoignages des marins néerlandais indiquent que les activités se concentraient près des côtes et que les effectifs étaient trop faibles pour changer durablement la population. Les véritables coups dur provenaient des animaux introduits et des rats qui, transportés sur les navires, facilitèrent l’invasion de Maurice et la concurrence pour les ressources. Des macaques crabiers, du bétail, des chats, des chèvres, des porcs et des cerfs furent introduits et devinrent des menaces pour la survie du dodo en dépiquant les nids et en consommant les ressources de l’alimentation.
Autres facteurs ayant aidé à l’extinction

La prédation et l’invasion ne suffisaient pas à elles seules: l’exploitation continue des ressources a aussi détruit l’habitat mauricien. À Maurice, la forêt d’ébène était un enjeu commercial majeur; son abattage massif, puis des limites imposées et transgressées, ont réduit les ressources disponibles pour les dodos. En parallèle, l’arrivée d’espèces introduites et l’augmentation des activités humaines sur l’île arrivèrent à un moment critique, alors que les dodos tentaient de se rétablir après une catastrophe naturelle. Une étude suggère qu’une sécheresse prolongée a pu concentrer la faune autour d’un site appelé Mare aux Songes, transformant le lieu en une zone toxique ayant tué des dizaines de milliers d’animaux.
L’oiseau s’est probablement éteint en 1690

L’analyse des écrits des marins montre une disparition rapide: les mentions après 1620 deviennent rarissimes. Pendant longtemps, on pensait que le dernier dodo avait vécu jusqu’en 1662; des témoignages plus récents indiquent que des marins auraient consommé de la chair au début des années 1680, et que l’extinction s’est produite autour de 1690. À la fin des années 1790, Georges Cuvier énonça l’idée que les espèces pouvaient s’éteindre, et le dodo avait en réalité disparu bien avant que le concept soit accepté. À une époque, certains pensaient même qu’il n’avait jamais existé.
Les derniers spécimens connus

Le dodo était originaire de Maurice, mais certains vestiges se retrouvaient hors de l’île. Au début du XVIIe siècle, l’empereur Rodolphe II conserva un dodo dans sa collection de curiosités à Prague et Roelant Savery en fit le portrait vers 1630. Des fragments du bec furent conservés dans des musées, et l’« Oxford dodo » — une tête bien conservée — est l’un des vestiges les plus célèbres qui ont permis d’évoquer l’apparence de l’oiseau.
Il peut être parti, mais son « cousin » vit encore

La curiosité autour de l’existence du dodo a alimenté des hypothèses sur des variétés rapportées dans d’anciens chroniques — Nazaréen, dodo blanc sur l’île de la Réunion, dodo capuchonné et dodo solitaire. Une revue publiée en 2024 a conclu que seul le dodo véritable demeure: Raphus cucullatus. Le cousin vivant le plus proche est le pigeon de Nicobar, originaire d’Asie du Sud-Est, dont le plumage est spectaculaire et dont la taille est bien moindre. Les analyses suggèrent une divergence évolutive vieille de plus de 40 millions d’années.
Le dodo, icône de l’extinction

Outre les dinosaures, le dodo est l’un des exemples les plus connus d’extinction liée à l’action humaine, marquant une étape clé dans l’histoire des sciences. Il illustre notre capacité à détruire des habitats et des espèces, tout en stimulant la conservation face aux défis actuels. D’autres espèces attrayantes, comme la pigeonne voyageuse ou le melomys de Bramble Cay, montrent qu’il est possible de prévenir l’extinction, mais le dodo demeure l’un des cas les plus mémorables.
Le dodo peut-il être ramené ?

Le dodo n’est peut-être pas condamné pour toujours: certaines initiatives s’intéressent à la dé‑extinction, et Colossal Biosciences attire l’attention par ses approches autour de ce sujet. L’objectif serait d’utiliser des poulets comme porteuses et des cellules germinales de pigeons de Nicobar pour produire des dodos, après des étapes de modification génétique. En septembre 2025, des progrès revendiqués indiquaient la cultivation de cellules germinales de pigeon, mais la question demeure: à quoi servirait réellement un tel retour? « Si nous parvenons à ramener un grand oiseau terrestre frugivore, nous ne connaissons pas toutes les conséquences, mais nous anticipons des surprises positives, » a déclaré la responsable scientifique de Colossal.
Faut-il le ramener ?

La dé-extinction soulève des questions éthiques, pratiques et logistiques. À l’heure actuelle, il est peu probable qu’une espèce éteinte puisse être ramenée à l’état vivant exact; l’objectif est de créer des versions fonctionnelles plutôt que des répliques génétiques parfaitement identiques. Certains critiques estiment que ces projets détournent des ressources des efforts de conservation pour d’autres espèces en danger, et que ramener des espèces éteintes pourrait ne pas prospérer dans un contexte écologique désormais fragile.
