Alpha School : révolution éducative ou simple arnaque ?

par Olivier
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Alpha School : révolution éducative ou simple arnaque ?
États-Unis

Imaginez une école où l’enfant ne reçoit que deux heures quotidiennes d’enseignement des fondamentaux, uniquement à travers un écran et des applications pilotées par une intelligence artificielle. C’est le principe d’Alpha School, une école privée implantée à Austin, au Texas, créée en 2014. Elle accueille environ 250 élèves, de la maternelle à la fin du lycée, et prévoit d’ouvrir une dizaine de nouveaux établissements aux États‑Unis cette rentrée.

Pour 40 000 dollars par an (plus de 34 000 euros), les élèves suivent deux heures d’apprentissage quotidien sans professeur : seuls des adultes accompagnateurs sont présents. L’après‑midi est consacré à des activités variées inspirées du « rêve américain » — « l’esprit d’entreprise », la gestion de l’argent, etc. — plutôt qu’à un enseignement encadré par des enseignants diplômés.

Des professeurs à la prothèse

Aux États‑Unis, l’usage de l’intelligence artificielle dans l’enseignement se développe rapidement : le président Donald Trump a signé un décret encourageant son déploiement dans les établissements scolaires . Pourtant, des spécialistes alertent sur les pertes liées à la suppression du professeur.

« En retirant le professeur, on supprime une grande partie de l’apprentissage qui se fait avec les neurones miroir, par imitation, par les émotions et à travers une figure d’attachement », explique Céline Gainet, chercheuse en sciences de l’éducation. De nombreuses études montrent aussi que lecture papier et écran n’engendrent pas les mêmes apprentissages : un livre a un poids, une texture, un bruit. L’apprentissage mobilise tous nos sens, note-t‑elle.

Laurence Devillers, professeure en informatique et spécialiste de l’IA, ajoute que l’on acquiert en classe bien plus que des théorèmes ou du vocabulaire : des attitudes comme le sens de l’effort peuvent s’affaiblir si l’IA devient une « prothèse ». La plupart des études indiquent par ailleurs que 80 à 90 % des élèves abandonnent les cours en ligne avant de les terminer (taux d’achèvement des MOOC), ce qui interroge la capacité des enfants à apprendre seuls derrière un écran.

« Apprendre seul demande une maturité colossale. Les athlètes de haut niveau ont un vrai coach, pas une IA », résume Céline Gainet.

« Un business model ultra‑rentable »

Le modèle d’Alpha School suscite aussi des critiques économiques. En proposant une scolarité très coûteuse sans enseignants, l’établissement réduit ses charges : les animateurs qui supervisent les élèves ne touchent pas les salaires d’enseignants diplômés. Cette économie rend le modèle particulièrement attractif pour des investisseurs privés.

Aux États‑Unis, les frais de scolarité pour l’enseignement privé sont en moyenne beaucoup plus faibles que ceux d’Alpha School : le coût moyen atteint 14 973 dollars en 2025 (environ 12 800 euros) selon des données nationales (Private School Review). Le salaire médian d’un professeur est quant à lui d’environ 56 510 dollars par an (environ 48 000 euros) (Indeed).

« Les parents ont sans doute l’impression d’envoyer leurs enfants dans la meilleure école, notamment au vu du prix, alors qu’il s’agit peut‑être d’une arnaque », s’interroge Laurence Devillers. Céline Gainet pointe un « clientélisme » : proposer une solution de facilité aux familles tout en maximisant la rentabilité peut primer sur l’intérêt éducatif des enfants.

Un nounours alimenté par IA

Les plus jeunes sont au centre des inquiétudes. « Avant 6 ans, c’est vraiment une mauvaise idée de mettre les enfants devant des écrans », alerte Laurence Devillers. Elle souligne l’apparition d’applications délétères destinées aux tout‑petits, mêlant IA et objets connectés — nounours ou poupées — qui peuvent interférer avec le développement affectif et personnel des enfants.

Pour Céline Gainet, le recours massif à l’IA dans une structure comme Alpha School est trompeur : « Imaginer que l’être humain apprend uniquement via l’IA est très trompeur. Duolingo, c’est utile, mais ce n’est pas le même niveau qu’un professeur de langues. »

Quant à la possible implantation d’un tel modèle en France, Laurence Devillers se montre peu convaincue : « Nous sommes plus hermétiques, mais il faut démystifier ces outils et expliquer aux jeunes ce que font réellement les intelligences artificielles, leur dire qu’il ne faut pas être crédule. » Une prudence qui, selon les spécialistes, ne semble pas faire partie du programme pédagogique affiché par Alpha School.

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