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Le premier mot décodé d’un manuscrit presque détruit par le Vésuve
Peu de personnes ne reconnaîtraient aujourd’hui les noms de « Pompéi » et « Vésuve ». En 79 après J.-C., le Vésuve est entré en éruption, anéantissant la campagne environnante. Le volcan a craché des gaz sulfurés dans l’air, déversé des cendres brûlantes et englouti les villes de Pompéi et d’Herculanum dans un flot pyroclastique d’une telle intensité que les liquides des corps des victimes se sont évaporés et que le cerveau d’un homme s’est transformé en verre. Entre 2 000 et 16 000 des 20 000 habitants ont perdu la vie en quelques heures.
Sans le travail astucieux de Giuseppe Fiorelli, né à Naples, la mémoire du Vésuve serait sans doute bien moins vivante. C’est lui qui a eu l’idée de verser du plâtre dans les cavités humaines laissées par les corps emprisonnés dans la lave durcie du Vésuve autour de Pompéi et d’Herculanum. Grâce à de récentes avancées technologiques, nous pouvons désormais en apprendre davantage sur ces villes qu’auparavant. Le Vésuve Challenge invite les membres du public à utiliser l’intelligence artificielle pour lire des rouleaux de papyrus carbonisés découverts à Herculanum.
Bien que Fiorelli ait débuté les fouilles à Pompéi en 1860, plus de 1 800 rouleaux d’Herculanum avaient été découverts sur le site dès 1752. Ces rouleaux n’ont pas pu être déroulés sans être détruits. Ils sont restés illisibles non seulement depuis leur découverte, mais aussi depuis l’éruption du Vésuve il y a près de 2 000 ans. Cependant, après 20 ans de travail en sciences informatiques, il est désormais possible de dérouler virtuellement ces rouleaux et d’essayer de les lire. Le premier mot qui a émergé pourrait ne pas être celui auquel on s’attend : « dégoût ».
Le défi du Vésuve
En observant les rouleaux de papyrus brûlés découverts à Herculanum en 1752, on pourrait penser qu’il ne s’agit que de morceaux de charbon. Cependant, on peut aussi apercevoir des anneaux concentriques de papyrus en regardant chaque rouleau par son extrémité courte. Comment pourrions-nous lire les mots à l’intérieur ? C’était la question à laquelle Brent Seales, professeur émérite en informatique à l’Université du Kentucky, a tenté de répondre lors du lancement du Vésuve Challenge en 2023. L’idée principale du défi est simple : lire les rouleaux sans les détruire, c’est-à-dire sans les dérouler. Autrement dit, convertir les versions 3D froissées et numérisées des rouleaux en versions 2D lisibles.
Pour ce faire, le Vésuve Challenge invite le public à utiliser des technologies d’imagerie et des mathématiques avancées pour former l’IA à cette tâche. Il existe même une application web, Neuroglancer, que vous pouvez utiliser pour examiner la version 3D enroulée d’un rouleau. Mais comme le site le précise, « suivre les feuilles 3D à travers ces rouleaux endommagés est presque impossible dans les données de numérisation brutes. Des représentations plus structurées … simplifient considérablement les tâches en aval. »
Le dégoût dans l’Herculaneum ancien
Actuellement, le Vésuve Challenge a atteint le cinquième rouleau d’Herculanum, connu sous le nom technique de PHerc. 172. Cependant, comme les participants au défi ne peuvent pas lire le grec ancien, l’interprétation des rouleaux incombe aux chercheurs. Pour cela, nous nous tournons vers l’Université d’Oxford, qui possède trois des rouleaux. Comme l’indiquent les Bodleian Libraries, un mot particulier est apparu deux fois en début de traduction : « διατροπή », ou « dégoût ».
Sans contexte, il est impossible de savoir ce que voulait dire l’auteur. Parlaient-ils d’un kebab dégoûtant qu’ils avaient mangé dans le thermopolium local, un genre de fast-food ? L’écrivain faisait-il une insulte à un politicien, exprimant un dégoût moral ? Se plaignait-il de l’hygiène corporelle de son patron ? On pourrait dire : « Nous ne le saurons jamais », mais ce n’est pas exact. Grâce aux recherches supplémentaires des contributeurs au Vésuve Challenge et à un travail d’interprétation plus poussé par les chercheurs, nous le saurons. Ce n’est qu’une question de temps.
Cela dit, nous avons déjà un indice intéressant. Les rouleaux d’Herculanum n’étaient pas de simples rouleaux trouvés pêle-mêle sur une rue. Ils étaient enterrés sous 20 mètres de cendres et de boue dans la résidence de Lucius Calpurnius Piso Caesoninus, le beau-père de Jules César. De plus, ce n’étaient pas de simples bribes, mais la bibliothèque privée complète de Caesoninus. Cela signifie que les rouleaux pourraient contenir tout, de la littérature à des écrits historiographiques, en passant par des documents juridiques, des lettres privées, etc. Les possibilités sont infinies, rendant les découvertes du Vésuve Challenge d’autant plus fascinantes.