L’histoire des Croisades est souvent simplifiée à un affrontement religieux entre chrétiens et musulmans, mais elle puise avant tout dans une profonde obsession du temps et de la fin imminente des jours. Pour comprendre les véritables causes de ces guerres saintes, il faut revenir à une époque où la perception du temps était intimement liée à la naissance supposée du Christ, marquant le calendrier en années avant et après Jésus.
Cette manière de compter le temps, instaurée au VIe siècle par le moine Dionysius Exiguus, a progressivement gagné en influence, notamment grâce à Charlemagne au IXe siècle qui officialisa cette échelle temporelle. Des siècles plus tard, le pape Grégoire XIII créa le calendrier grégorien en 1582 pour affiner la mesure des années solaires, consolidant ainsi cette vision appuyée sur un axe religieux et historique.
La peur d’une apocalypse imminente, ancrée dans la foi chrétienne et alimentée par la croyance en la Parousie – le retour du Christ – s’inscrivait dans un contexte où approchait l’an 1000, soit le millénaire de la mort du Christ. Cette attente millénaire, teintée d’espoir mais aussi d’angoisse, s’est transformée en une véritable fièvre apocalyptique à travers toute l’Europe.
En parallèle, dès la fin du Xe siècle, l’Europe connaissait un renouveau économique avec une reprise des échanges commerciaux et une émergence d’une classe moyenne inquiète pour la conservation de ses richesses. Cette bourgeoisie naissante alla jusqu’à financer les Croisades, exprime ainsi une volonté collective de changer le cours des événements terrestres pour accéder à une ère nouvelle, censée être la paix promise pendant mille ans.
Depuis Charlemagne, les chrétiens pouvaient effectuer des pèlerinages à Jérusalem, symboliquement liée aux prophéties de l’Apocalypse. Pourtant, au XIe siècle, avec l’expansion des Turcs seldjoukides et les conflits politiques dans la région, l’accès à la ville sacrée se compliqua, ravivant les tensions et les craintes.
C’est dans ce contexte que le pape Urbain II lança son appel en 1095 lors du concile de Clermont. Il saisit l’opportunité d’une Europe marquée par l’attente eschatologique pour mobiliser une population prête à croire en un combat sacré. Ce dernier visait à renforcer le pouvoir papal tout en s’opposant à l’influence musulmane grandissante et à reprendre Jérusalem.
Son appel réunit entre 60 000 et 100 000 hommes, principalement des paysans pauvres, mais aussi des membres de la classe moyenne et de la noblesse. Cette “Croisade du peuple”, bien que peu organisée, traversa des étapes-clés comme Constantinople, Nicée et Antioche avant de s’emparer de Jérusalem en 1099. Ironiquement, Urbain II ne vécut pas pour apprendre la victoire de cette première expédition.
Entre 1095 et 1291, sept croisades furent lancées, causant la mort de millions de personnes. Ces conflits furent donc aussi le fruit d’une conjonction d’enjeux religieux millénaristes, de dynamiques économiques émergentes, et d’un profond désir de reprendre le contrôle de territoires où s’incarnaient les espoirs et les craintes apocalyptiques.
