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Le langage évolue sans cesse, avec l’arrivée de nouveaux termes et la disparition progressive d’autres, parfois anciens et oubliés. Parmi ces expressions, le terme « 86 » (ou « 86’d ») est particulièrement intrigant : il signifie aujourd’hui expulser quelqu’un d’un bar ou d’un restaurant, mais son origine exacte reste floue malgré son usage répandu, principalement depuis les années 1930.
Au fil du temps, « 86 » a élargi son sens pour désigner l’acte d’éliminer quelque chose ou quelqu’un. Plusieurs hypothèses ont été avancées concernant son origine, dont l’une des plus plausibles le relie au jargon des employés de soda-fountains et diners américains, qui utilisaient « 86 » pour signaler une rupture de stock. Une autre théorie suggère un lien avec un argot rimé, faisant de « 86 » une forme codée de « nix », terme signifiant « refuser » ou « rejeter ». Le premier usage imprimé du terme date de 1944, où il apparaît dans un contexte états-unien.
L’association du terme avec un acteur hollywoodien au tempérament difficile

Le mot « 86 » faisait référence à un acteur célèbre d’Hollywood connu pour son regard dur et ses excès d’alcool : John Barrymore. Sa consommation excessive perturbait ses performances, le poussant à tricher avec des cartons de répliques. Dans « Good Night, Sweet Prince : The Life and Times of John Barrymore », l’auteur Fowler raconte comment en 1910, Barrymore faisait passer clandestinement de l’alcool via un jeune protégé dans le Belasco Theatre de Los Angeles, mais devait se rendre dans un bar où il n’était pas connu.
Dans ce bar, l’acteur était désigné par le terme « eighty-six », qui dans le jargon des serveurs de l’Ouest américain signifie « ne pas servir ». Durant l’écriture de Fowler, le terme était encore un nom, mais il a progressivement évolué en verbe une dizaine d’années plus tard. Malgré un certain flou sur ses origines, cette utilisation renforce l’hypothèse d’un lien avec le milieu de la restauration et du service.
Un terme issu du jargon des soda-fountains ?

Un article de 1933 signé Walter Winchell, célèbre chroniqueur et animateur américain du XXe siècle, est l’une des premières sources associant « 86 » aux soda-fountains. Ces établissements étaient très prisés durant la Prohibition, lorsque la glace et la crème glacée remplaçaient parfois l’alcool. Dans sa chronique, Winchell présente un glossaire de termes employés par un « soda jerker » hollywoodien, où « eighty six » signifie « rupture de stock ».
Le passage de ce terme au monde des bars reste une question ouverte, mais beaucoup pensent qu’il s’agit d’un argot rimé, « 86 » remplaçant « nix », un terme utilisé pour signifier le refus ou le rejet. Si l’argot rimé est surtout associé à l’anglais cockney, il fut aussi courant dans le monde souterrain américain, notamment sur la côte Ouest des États-Unis dans les années 1930.
Hypothèses plus anecdotiques et improbables
D’autres théories moins solides ont circulé autour de l’origine de « 86 ». L’une évoque le Far West, où une arme à feu contenant de l’alcool à 86 degrés pouvait avoir une signification. Une autre évoque la guerre de Corée et les chasseurs à réaction F-86 abattant des avions ennemis, symbolisant une forme d’expulsion ou d’élimination. Cette dernière hypothèse est cependant invraisemblable, car le terme existait déjà avant les années 1950.
Parmi les spéculations insolites figurent également la taille standard d’un chambranle de porte (8 pouces sur 6 pouces), ou la quantité typique de soupe servie dans l’armée (86 louches). Si quelques-unes de ces hypothèses font sourire, elles peuvent être rejetées. Seules certaines pistes reliant « 86 » à un usage dans la restauration et au refus semblent vraiment crédibles.
