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Les guerres présentent toujours deux camps, où des idéologies et des objectifs s’affrontent sans cesse. Mais la réalité des conflits est aussi complexe et parfois déroutante: des ennemis de longue date se retrouvent, par nécessité ou par survie, réunis contre un ennemi commun. C’est dans cette logique que se déroule l’épisode étrange et peu connu de la bataille de Castle Itter, où prisonniers, soldats américains et anciens nazis se coordonnent pour sauver des vies et empêcher une reprise de combat.
La Seconde Guerre mondiale à l’aube de la fin
En avril 1945, la victoire des Alliés sur les puissances de l’Axe paraissait inéluctable. Déjà, les Alliés avaient chassé les nazis de portions importantes des Pays-Bas, de Belgique et de France, tout en occupant des zones en Allemagne. En février 1945, les dirigeants des grandes puissances – les États‑Unis, le Royaume‑Uni et l’Union soviétique – se rencontrèrent à Yalta pour organiser la fin du conflit et les arrangements post‑guerre. Le 30 avril 1945, Adolf Hitler se réfugia dans son bunker et s’est suicidé; l’annonce de sa mort survint le 1er mai, marquant un coup sévère pour le régime nazi déjà moribond.

Castle Itter, un château devenu prison et témoin d’une des dernières batailles
Dans le Tyrol autrichien, au bord d’un petit village nommé Itter, se dresse Castle Itter. Occupé par les nazis dès 1943 et transformé en prison pour des prisonniers français jugés plus utiles vivants que morts, le château était contrôlé par les SS. Parmi les détenus figuraient des personnalités françaises, des résistants et des célébrités, comme Edouard Daladier, sœur de Charles de Gaulle et d’anciens prisonniers célèbres. Alors que le front s’effondrait, les gardiens semblaient incapables de maintenir l’ordre et la sécurité autour du château, et l’espoir d’une libération venait surtout des rumeurs d’une intervention alliée.

Une évasion imaginée et un rendez‑vous inattendu
Le moral des occupants SS était au plus bas face à l’évidence de la défaite. Le commandant Sebastian Wimmer, voyant s’éloigner son avenir, tenta de déléguer une mission à son ouvrier d’entretien, Zvonimir Cuckovic, un Croate emprisonné pour ses opinions politiques et contraint de travailler pour les SS. Profitant de l’opportunité, Cuckovic entreprit un long trajet à vélo vers Innsbruck pour solliciter les Alliés et obtenir de l’aide: il présenta une proposition sous forme de lettre des prisonniers en anglais, demandant la libération du château et l’intervention des troupes alliées.
Des ennemis en guerre, des camarades dans le combat
Le lendemain, 4 mai 1945, la 103e division d’infanterie américaine lança un siège autour du château, avançant depuis Innsbruck sur une quarantaine de kilomètres. Arrivés à mi‑chemin, les véhicules furent contraints de rebrousser chemin sous le feu nourri des dernières troupes SS encore présentes. Les officiers américains hésitaient à s’engager davantage, craignant d’empiéter sur des territoires encore tenus par des unités alliées d’autres divisions et de manquer de temps pour éviter des accrochages entre groupes libérés déjà dans la région.

Une stratégie commune et un leadership inattendu
À l’intérieur, un autre obstacle se présentait: les prisonniers devaient être protégés et armés pour résister à une offensive. Kurt-Sieffried Schrader, un officier SS blessé et réhabilité dans les environs, devint le chef de la défense en raison de son expérience militaire et de sa connaissance du terrain, quittant petit à petit son engagement initial envers le nazisme. L’alliance locale rassemblait des soldats de la Wehrmacht, des résistants autrichiens et des prisonniers français, puis les déplacements furent coordonnés avec les forces américaines qui avaient été repérées et qui arrivaient de Kufstein, où résidait le 23e bataillon blindé de la 12e division blindée de l’XXIe Corps américain sous le commandement du lieutenant John C. Lee. Ces forces allyées apportèrent une puissance de feu déterminante, et le plan était clair: libérer Itter et tenir le château jusqu’aux renforts.
Le combat s’engage fortement
Le 5 mai 1945, environ 150 soldats des Waffen‑SS, l’une des dernières unités nazies encore en activité en Europe, arrivèrent près du château afin de reprendre le contrôle et d’occuper la forteresse. La défense hétéroclite—des détenus, des résistants, des soldats américains et d’anciens nazis devenus alliés—parvint à repousser l’assaut avec des ressources limitées. Les défenseurs manquèrent surtout d’armes et de munitions et appelèrent des renforts, mais la ligne de communication fut rapidement compromise lorsque les SS coupaient les liaisons téléphoniques.

La fin du combat et l’après
Vers 16 h, Jean Borotra guida la 142e unité d’infanterie jusqu’au château, arrivant à temps pour une manœuvre décisive: les défenseurs, épuisés en munitions, furent sauvés des dernières tentatives d’assaut. Les SS ayant mené l’attaque furent repoussés et les survivants, environ une centaine, furent évacués vers le programme de prisonniers de guerre en vigueur. Castle Itter fut défendu et libéré; les prisonniers furent rapidement évacués vers Paris ou vers des lieux sûrs. Parmi les pertes figure l’ancien officier SS Josef Gangl, tué d’un tir de sniper. Gangl reçut à titre posthume la reconnaissance nationale en Autriche, et, de l’autre côté de l’Atlantique, le lieutenant John C. Lee fut honoré pour ses efforts. Deux jours après cet épisode, l’Allemagne capitulait face aux forces alliées.
Une autre fois où les nazis ont combattu avec les Alliés
Étonnamment, la bataille de Castle Itter n’est pas la seule à révéler des alliances surprenantes durant la guerre. Peu de jours avant la libération d’Itter, une opération appelée Cowboy eut lieu à Hostau, dans le Sudètes, alors sous domination allemande. Quand l’Allemagne annexa l’Autriche en 1938, elle transféra un groupe de Lipizzans, célèbres chevaux de dressage, vers une ferme de Hostau. En avril 1945, alors que l’armée rouge avançait d’est en direction de Prague et que le XXe corps américain mené par le général Patton approchait par l’ouest, les Américains et les nazis réformés s’unirent pour évacuer les chevaux sous le feu. Cette alliance improvisée permit d’évacuer les chevaux tout en faisant face à l’offensive des troupes Waffen‑SS qui tentaient d’empêcher l’arrivée des Soviétiques.

