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Camembert, Roquefort, sans oublier l’Abondance. Aujourd’hui, ce fromage s’impose sur les plateaux et figure parmi les vingt fromages préférés des Français sur 1 200, se félicite Joël Vindret, directeur du syndicat du fromage Abondance. Il y a cinquante ans, son succès n’était pourtant pas assuré : l’Abondance restait peu connue en dehors du Chablais, dans le nord de la Haute-Savoie, et sa filière, dispersée, voyait le nombre de producteurs diminuer.
Des origines médiévales
L’existence de l’Abondance est attestée dès le Moyen Âge, dans les archives de l’abbaye d’Abondance fondée au XIe‑XIIe siècle. Les chanoines ont installé des pâturages exploités par des paysans qui s’acquittaient de leurs redevances en meules, raconte Joël Vindret. On ignore si le fromage ressemblait exactement à celui d’aujourd’hui, mais dès le XIXe siècle il présentait déjà un talon concave, conçu pour faciliter le transport à dos d’homme ou de mulet grâce à une corde.
Une filière sauvée par une AOP et une initiative locale
Dans les années 1980, alors que la production faiblit et que d’autres fromages savoyards gagnent en notoriété grâce aux signes de qualité, Barnabé Folliet, producteur d’Abondance, comprend que la survie du fromage passe par une reconnaissance officielle. Convaincu que son produit « méritait aussi largement cette appellation », il engage la démarche qui conduit, après la création du syndicat interprofessionnel en 1985, à l’obtention de l’appellation d’origine protégée en 1990 — l’« Abondance AOP ».
« L’Abondance est un véritable cas d’école », affirme Joël Vindret : l’AOP a eu des effets concrets sur le fromage et sa filière. « C’est clairement l’appellation qui l’a sauvé. » Il souligne aussi la portée économique des appellations : en imposant une relocalisation des pratiques, elles permettent, contre la tendance à la délocalisation, de valoriser le territoire et ses savoir‑faire.
Une renaissance quantitative et qualitative
Un cahier des charges exigeant a été établi dès 1990. L’Abondance n’est pas un fromage industriel : l’alimentation des troupeaux repose sur l’herbe (minimum de 150 jours de pâturage), seules trois races de vaches sont autorisées — dont la vache Abondance reconnaissable à ses « lunettes marron » autour des yeux — et la fabrication privilégie la qualité plutôt que le rendement.
Grâce à ces règles et à la structuration progressive de la filière, la production a bondi : de quelque 300 tonnes à la fin du XXe siècle, elle a atteint plus de 3 600 tonnes en 2024. « On a multiplié par dix la production en trente‑cinq ans », note le directeur du syndicat. Le succès tient aussi au produit lui‑même : une pâte souple et fondante aux arômes fruités, qui séduit petits et grands.
Des défis persistants pour la filière
Malgré ce rebond, l’avenir de l’Abondance AOP reste fragile. Le renouvellement des générations et la difficulté d’attirer de nouveaux entrants au monde agricole sont des enjeux majeurs. La pression foncière liée au tourisme en Haute‑Savoie fait disparaître des terres agricoles : « Si on perd des terres, on perd des fermes », avertit Joël Vindret.
La raréfaction de la vache Abondance pose également problème : « elle est plus chère et fait moins de lait », alors qu’elle fait partie de l’ADN du fromage. À cela s’ajoutent les effets du changement climatique — canicules, orages violents — qui perturbent la qualité et la disponibilité de l’herbe, base essentielle du cahier des charges et de la production fromagère.
Pour la filière, l’enjeu reste moins d’augmenter les volumes que de maintenir le nombre de fermes. « Préserver l’Abondance, c’est défendre un patrimoine collectif et ancestral. C’est offrir aux consommateurs un fromage de qualité, simple et naturel : du lait, un peu de sel, un peu de ferments, de la présure… et beaucoup de savoir‑faire », conclut Joël Vindret.
