L’agenda du Brexit du Royaume-Uni a souvent suscité perplexité et moqueries chez ses alliés à travers le monde. Pourtant, sur le plan national, le départ du Royaume-Uni de l’Union européenne a bénéficié du soutien d’une part significative et vocale de la population électorale. Après quatre années de négociations, le pays a rompu ses liens avec l’UE en décembre 2020, marquant la fin de la période de transition par un accord commercial. Toutefois, le Brexit ne constitue pas la rupture nette que beaucoup de ses partisans espéraient, notamment en raison d’une question cruciale : la relation future entre le Royaume-Uni et la République d’Irlande, qui fait face à d’immenses défis.
Suite au Traité anglo-irlandais de 1921, qui accordait l’autonomie à l’île d’Irlande, les comtés loyalistes du nord-est ont choisi de rester au sein du Royaume-Uni. Cela a conduit à la partition de l’Irlande en deux entités actuelles : la République d’Irlande au sud et au nord-ouest, et l’Irlande du Nord, aujourd’hui une nation constitutive du Royaume-Uni. Cependant, au cours du siècle écoulé, la coexistence entre ces deux entités a été marquée par de graves conflits, dont les « Troubles », qui ont causé la mort de 3 532 personnes selon l’Index Sutton des décès.
En 1998, l’Accord du Vendredi saint a marqué un tournant historique dans le processus de paix en Irlande du Nord, entraînant une diminution substantielle des violences.
« Pas de frontière dure sur l’île d’Irlande »
L’accord a permis de mettre un terme à un conflit qui a duré plus de trente ans, salué internationalement comme un succès majeur. Ce traité comportait un élément clé qui est devenu un point de friction significatif lors des négociations du Brexit : la volonté affirmée qu’aucune frontière physique rigide ne devrait jamais être instaurée entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande.
Bien avant le référendum de 2016, les responsables politiques, ainsi que des personnalités publiques des deux parties de l’île, s’étaient unanimement prononcés contre la réapparition d’une frontière terrestre. Cette dernière risquerait en effet de raviver les tensions, voire les violences, qui avaient caractérisé les Troubles. Le chef de la police nord-irlandaise avait ainsi averti : « Si nous échouons, nous pourrions revenir à une forme de maintien de l’ordre quasi-paramilitaire. »
Pour répondre à cette exigence, un arrangement complexe a été établi, maintenant l’Irlande du Nord dans le marché unique européen afin de préserver la libre circulation avec la République d’Irlande. Parallèlement, des contrôles douaniers ont été instaurés entre l’Irlande du Nord et la Grande-Bretagne, créant une « frontière » dans la mer d’Irlande.
Bien que ce compromis ait été salué par certains, les unionistes nord-irlandais l’ont qualifié d’« absurde » et d’« anticonstitutionnel », dénonçant cette frontière maritime.
La perspective d’une Irlande unifiée
Outre l’opposition traditionnelle des unionistes vis-à-vis d’une frontière maritime, celle-ci apparaît aussi comme une menace existentielle car elle pourrait précéder ce que ces mêmes unionistes redoutent le plus : la réunification de l’Irlande. De nombreux analystes estiment que la réalisation du Brexit a considérablement renforcé la probabilité d’une unification de l’île, une perspective plus tangible qu’elle ne l’a été depuis plusieurs décennies.
Lord David Blunkett, ancien ministre de l’Intérieur britannique ayant participé aux négociations de l’Accord du Vendredi saint, qualifie le Brexit de « catastrophe ». Selon lui, la sortie du Royaume-Uni de l’UE sera utilisée par certaines régions du Royaume pour tenter de se détacher du Parlement de Westminster.
Il affirme ainsi : « Je crois que cet accord accélère la possibilité, dans les vingt-cinq prochaines années, d’une Irlande unifiée. Nous célébrons cette année le centenaire de la partition de 1921. Un siècle plus tard, nous sommes confrontés aux contradictions que pose la relation entre l’Irlande du Nord et l’Union européenne, et, par extension, entre l’Irlande du Nord et le reste de la Grande-Bretagne. »
Blunkett anticipe des conséquences « très inquiétantes pour l’avenir », mettant en doute la pérennité du Royaume-Uni en tant qu’union de quatre nations.