Dodge City, assurément. Tombstone, indéniablement. Mais Nome ? Peu de gens associent Wyatt Earp au nord glacé, en particulier à l’Alaska. Pourtant, à la fin des années 1890, la ruée vers l’or du Yukon attirait ceux prêts à affronter les éléments pour s’enrichir. Wyatt, comme beaucoup dans l’Ouest sauvage, n’échappait pas à cet appel. En dépit de sa renommée de shérif, il avait passé plus de temps comme barman et joueur que comme homme de loi. Avec ses frères, il avait d’ailleurs investi dans des concessions minières, notamment à Tombstone. Alors que sa vie avançait, il ajouta la prospection active à ses projets professionnels.
En 1897, Wyatt et sa compagne de fait, Josephine « Sadie » Marcus, partirent du sud de la Californie pour l’Alaska. Arrivés un peu tard pour tenter leur chance avec une exploitation aurifère propre – une tâche harassante rendue encore plus rude par le climat extrême – Wyatt, alors âgé de 49 ans, savait que les fortunes à faire ne venaient pas forcément du sol lui-même. Le véritable argent se trouvait souvent chez les prospecteurs : ceux qui, soudainement riches, cherchaient à faire la fête ; ceux qui, désabusés, cherchaient à noyer leur chagrin ; ou ceux qui avaient tout misé en espérant décrocher le gros lot. Parmi ces chercheurs d’or, un jeune homme froid mais plein d’espoir : Jack London, qui avait failli mourir en parcourant cette région glaciale dans l’espoir de s’enrichir.
Jack London n’était encore qu’à quelques années de son immense succès littéraire avec Call of the Wild et le récit “To Build a Fire”, nourris par son expérience de l’Alaska et de son combat pour survivre dans cet environnement impitoyable.
Selon Smithsonian, London avait 21 ans lorsqu’il prit la route des champs aurifères d’Alaska. L’épreuve était doublement difficile : non seulement le travail était exténuant, mais rejoindre la région était un défi. Sur les 100 000 hommes partis pour le Klondike, moins d’un tiers parvinrent à bon port. Les autorités canadiennes exigeaient que chaque chercheur transporte une année de provisions, soit près d’une tonne, en plus de son équipement minier, rendant le voyage très pénible.
L’année 1897 fut particulièrement marquante : c’est celle où London et Wyatt Earp, accompagnés de Sadie Marcus, se lancèrent à la poursuite de l’or. Alors que London espérait en découvrir les filons, Wyatt préférait en tirer profit autrement, en ouvrant le Dexter Saloon à Nome avec son associé Charles Hoxie, comme le rappellent Casey Tefertiller et Gary L. Roberts dans A Wyatt Earp Anthology. Ce salon était considéré comme le lieu nocturne le plus animé du territoire, idéal pour dépenser son or aux jeux de hasard, selon Roger S. Peterson. Wyatt et Jack se croisèrent donc régulièrement : l’auteur fut l’un des clients du saloon, selon le site History Collection.
Jack London, sans doute un client régulier, n’échappa pas aux démons de l’alcoolisme et mourut prématurément à 40 ans. Wyatt, quant à lui, quitta l’Alaska avec une situation nettement plus confortable. Vers la fin de leur vie, Wyatt et Sadie s’installèrent dans la région de Los Angeles, où Wyatt rencontra plusieurs personnages de l’industrie cinématographique naissante. London vint rendre visite à son ancien compagnon de saloon, et tous deux décidèrent de rencontrer le réalisateur Raoul Walsh, curieux de ses récits liés à la frontière mexicaine avec Pancho Villa.
En 1916, Wyatt et Jack se présentèrent au studio de Walsh qui les invita à son bureau. Leur conversation fut si captivante qu’ils dînèrent ensemble ensuite au café d’Al Levy. Là, ils croisèrent Charlie Chaplin, alors star incontestée du cinéma muet, impressionné par ces deux figures historiques. Chaplin reconnut Wyatt : “Vous êtes le gars de l’Arizona, celui qui a dompté les brigands, non ?” Puis, se tournant vers London, il lui confia avoir failli partir pour l’Alaska pour chercher de l’or, influencé par l’écrivain, mais heureusement pour nous tous, il n’était jamais allé jusque-là.
