L’Attentat de Wall Street en 1920 : une Histoire Oubliée

par Zoé
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L'Attentat de Wall Street en 1920 : une Histoire Oubliée
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Histoire

Attentat de Wall Street en 1920

Avant le 11 septembre 2001, l’attentat le plus meurtrier à New York était celui de Wall Street en 1920. Pourtant, contrairement aux événements de septembre 2001, ce terrible bombardement a rapidement sombré dans l’oubli, disparaissant de la mémoire collective en moins de cinq ans.

À ce jour, la seule trace tangible de cette attaque reste la façade en pierre calcaire marquée du 23 Wall Street, sans aucun mémorial officiel pour commémorer l’un des épisodes les plus violents de l’histoire américaine.

Les autorités ont par la suite attribué cet attentat à des anarchistes italiens, mais personne n’a jamais été inculpé ni condamné. Face aux difficultés, les forces de l’ordre ont abandonné l’enquête aux alentours de 1940.

Contrairement aux idées reçues, les victimes n’étaient pas principalement des hommes d’affaires ou des banquiers, mais plutôt des messagers, des employés de bureau, des vendeurs ambulants et des travailleurs de la rue.

Le lendemain de l’explosion, la Bourse de New York reprenait déjà ses activités, recouvrant rapidement les stigmates de la tragédie. En l’espace d’un après-midi, Wall Street devint un symbole du patriotisme américain à défendre contre les forces révolutionnaires. Toute critique envers les opérations financières fut alors perçue comme une trahison.

Cette page méconnue de l’histoire raconte donc l’attaque oubliée qui a marqué Wall Street en 1920, un événement lourd de sens sur le plan politique et social.

Une brève histoire de Wall Street

New York Stock Exchange, 1863.

Lorsque les Néerlandais ont colonisé pour la première fois ce qui allait devenir New York, ils ont construit un mur, d’où le nom de Wall Street. Après la conquête anglaise en 1664, ce mur a été conservé plusieurs années. Cependant, son entretien s’est avéré extrêmement coûteux, ce qui a conduit à sa démolition en 1699.

Wall Street trouve ses racines profondes dans l’histoire sombre de l’esclavage. Dès 1711, la rue Wall Street fut désignée comme le site du marché aux esclaves de la ville, une pratique qui perdura plus d’un siècle. Des archives suggèrent même que ce marché existe dès 1709, où esclaves noirs et amérindiens étaient exposés pour être loués ou vendus.

À la fin du XVIIIe siècle, bien que Philadelphie soit encore considérée comme un centre financier majeur du pays pour les échanges d’actions et de marchandises, des courtiers new-yorkais souhaitaient créer leur propre place boursière. Leur objectif était de jouer un rôle économique majeur tout en écartant les ingérences gouvernementales et les concurrents potentiels.

C’est ainsi qu’en 1792, vingt-quatre courtiers signèrent l’Accord Buttonwood, établissant un pacte pour ne trader qu’entre eux avec une commission réduite à 0,25 %. La même année, ils fondèrent la New York Stock and Exchange Board, s’inspirant du modèle philadelphien. Cet engagement fut une étape clé, plaçant Wall Street sur la voie qui allait faire d’elle un centre financier de premier plan.

Un siècle plus tard, en 1918, Wall Street surpassait déjà la Bourse de Londres en influence, symbolisant le pouvoir économique grandissant des États-Unis sur la scène mondiale.

À l’heure du midi, le 16 septembre

Attentat de Wall Street en 1920

Une minute après midi, le 16 septembre 1920, une charrette abandonnée explosa devant le 23 Wall Street. Ce véhicule était stationné juste devant le siège de la banque J.P. Morgan & Company et contenait plus de 45 kilogrammes d’explosifs.

Selon des témoignages recueillis, un conducteur aurait déposé la charrette puis l’aurait laissée sans surveillance, bien que les descriptions de sa silhouette divergent et n’aient jamais permis de l’identifier précisément. Malheureusement, à cet instant, les dégâts étaient déjà irréversibles.

Les victimes proches de l’explosion étaient irréparablement mutilées. L’onde de choc fit voler en éclats les vitres dans un rayon d’un demi-mile (environ 800 mètres) et les auvents de tissu prirent feu. À deux pâtés de maisons, un tramway fut projeté hors des rails sous la violence du souffle.

Les fenêtres du bâtiment de la Bourse furent également brisées. Cependant, grâce aux lourds rideaux, la plupart des personnes à l’intérieur évitèrent les éclats de verre. De plus, comme il est interdit de courir sur le parquet de la Bourse, son président dut marcher rapidement pour atteindre le gong et interrompre les échanges, marquant ainsi la première cessation de la cotation due à un acte violent.

Dans la rue, le chaos était total : débris humains, bâtiments endommagés et véhicules détruits encombraient la voie. Les fuyards, dans leur panique, marchèrent sur les corps des morts et des blessés, accentuant la scène tragique qui se déroulait devant eux.

Attentat de Wall Street 1920

Le bombardement de Wall Street en 1920 fit 39 morts et entre 150 à 300 blessés. Nombre de ces victimes étaient des employés de bureau ou des messagers frappés par des éclats de verre alors qu’ils travaillaient ou traversaient la rue. Sur les 39 décès, 30 personnes succombèrent instantanément à l’explosion, selon les archives historiques. Le cheval attaché au chariot à proximité fut également tué sur le coup, seuls deux de ses sabots calcinés furent retrouvés.

Trois victimes se trouvaient dans un état si dégradé que leur identification fut impossible. La violence des blessures s’explique en partie par la charge de métal conçue comme projectiles : environ 227 kilogrammes de plomb provenant de poids de fenêtres furent mêlés à l’explosif. De nombreuses blessures furent toutefois causées par les débris de verre qui tombèrent des fenêtres brisées. La scène après le drame fut marquée par le chaos et la stupeur, avec des centaines de personnes gisant sur la chaussée.

Des témoignages d’époque décrivent un spectacle d’horreur : une tête féminine tranchée, encore coiffée d’un chapeau, restait collée à la façade d’un bâtiment bancaire. Un richissime restaurateur ne laissa derrière lui que son doigt. La panique envahit brièvement la foule à cause d’une rumeur prétendant qu’une seconde bombe allait exploser. Cette alerte s’avéra cependant fausse. Pour fuir la poussière et la fumée, de nombreuses personnes se dirigèrent chancelantes vers l’église Trinity.

Par ailleurs, l’onde de choc psychologique fut telle qu’au moins une personne se suicida cinq jours après l’attentat, marquée durablement par l’horreur du spectacle.

US Assay office

Moins d’une demi-heure après l’explosion, des infirmières de la Croix-Rouge et des policiers de New York arrivèrent en masse sur le site. Selon des témoignages, environ 75 infirmières et près de 1 700 policiers vinrent assister les victimes, se déplaçant à cheval, en voiture, en métro ou à pied. Tandis que les ambulances peinaient à circuler sur des routes encombrées, les trottoirs se couvrirent malheureusement de nombreux corps sans vie.

Parallèlement, des soldats du 22e régiment d’infanterie arrivèrent « fusils et baïonnettes au garde-à-vous » pour assurer la protection du Bureau de l’Assay des États-Unis. Ce lieu jouxtait alors le bâtiment de la Sous-Trésorerie, d’où une importante somme en lingots d’or – évaluée à 900 millions de dollars – était en cours de transfert. Cette circonstance renforça rapidement la thèse d’un braquage qui aurait mal tourné.

Les dégâts matériels furent considérables : l’explosion et les éclats de shrapnels causèrent environ 2 millions de dollars de dommages aux bâtiments environnants. Toutefois, les pertes financières potentielles auraient pu être bien plus lourdes. En effet, une part élevée des réserves d’or et des richesses papiers du pays aurait pu être réduite en cendres si l’attentat avait atteint son dessein maximal.

Une une du New York Times sur l'attentat de Wall Street en 1920

Malgré l’absence d’arrestations immédiates, les autorités municipales ordonnèrent la réouverture du bâtiment de la Bourse de New York dès le lendemain de l’attentat. Face à cette tragédie, une vigilance accrue fut mise en place, et les salariés de Wall Street affichèrent une détermination sans faille. Ils voulaient démontrer que malgré la violence, le commerce continuerait comme à l’habitude.

Enquêteurs et policiers récupérèrent des preuves matérielles importantes : dix tonnes de débris de verre brisé furent transportées au siège de la police pour être examinées. Parmi les objets saisis figuraient notamment deux fers à cheval carbonisés appartenant à un cheval attelé au véhicule piégé. D’autres fragments trouvés sur les lieux comprenaient des rayons de roue, des sangles en cuir, des morceaux de toile, un essieu ainsi qu’un enjoliveur, témoignant de la violence de l’explosion.

Malgré la collecte de ces éléments, la précipitation visant à permettre la réouverture rapide de la Bourse laissa planer le doute sur la quantité et la qualité des preuves vraiment exploitées dans l’enquête. Cette zone d’ombre complique encore aujourd’hui la compréhension et la résolution complète de cet attentat.

Quelques jours avant l’explosion, des tracts furent trouvés dans les environs. Ils portaient un message revendicatif clair : « Souvenez-vous / Nous ne tolérerons plus / Libérez les prisonniers politiques ou ce sera / la mort certaine pour vous tous / Combattants anarchistes américains ». Ces messages renforcèrent les soupçons qui pesaient sur des anarchistes italo-américains, d’autant plus que deux d’entre eux avaient été inculpés quelques jours plus tôt pour un braquage suivi d’un meurtre.

1919 Bombings

En 1919, les États-Unis avaient été le théâtre d’une campagne de bombes, durant laquelle des tracts signés des « Combattants Anarchistes » avaient été retrouvés sur les lieux des attentats. La similarité de ces écrits avec ceux découverts après l’attentat de Wall Street en 1920 incita les autorités à penser que la même organisation revendiquait les deux actes.

Toutefois, les « Combattants Anarchistes Américains » ne constituaient pas un groupe unifié. Selon des analyses historiques, ils étaient liés à plusieurs factions, parmi lesquelles les anarchistes galleanistes. Menée par Luigi Galleani, cette mouvance était suspectée d’avoir orchestré la vague d’attentats de 1919. Déjà à cette époque, Galleani et huit autres membres avaient été expulsés du pays. Malgré l’absence de preuves suffisantes pour inculper Galleani directement, la police justifia l’expulsion en invoquant son statut d’étranger résident ayant publiquement encouragé le renversement violent du gouvernement. Il faut noter également qu’il était l’auteur d’un manuel expliquant la fabrication d’explosifs.

Malgré la conviction affichée par les services d’enquête attribuant à ces anarchistes la responsabilité de l’attentat de Wall Street de 1920, aucune arrestation n’a jamais été opérée en lien avec cet événement. Cette absence de poursuite judiciaire alimente encore aujourd’hui le mystère sur l’identité et les motivations exactes des auteurs.

Attentat de Wall Street en 1920

Les réactions face à l’attentat de Wall Street furent d’une intensité comparable à une déclaration de guerre. Les médias, l’opinion publique et le gouvernement agirent comme si le pays était en état de conflit. Le Washington Post qualifia même cette attaque d’« acte de guerre ». Bien que l’identité des auteurs restât inconnue, les soupçons se tournèrent rapidement vers les Russes bolcheviks ou, alternativement, vers les anarchistes italiens.

Il est important de noter qu’aucun homme d’affaires de Wall Street ne perdit la vie lors de l’explosion. Une incertitude demeurait quant à savoir si le bureau de J.P. Morgan avait été une cible directe. Néanmoins, selon l’agent du Département de la Justice Frank Francisco, si une tentative s’était réellement portée sur les bureaux de Morgan, elle aurait probablement eu lieu de nuit, ou alors un radical aurait infiltré l’établissement pour y placer l’engin explosif.

William J. Flynn, alors chef du Service Secret, déclara que la bombe avait été posée « au cœur financier de l’Amérique en défiance envers le peuple américain ». Il était convaincu qu’une vaste conspiration à l’échelle nationale visant à détruire le gouvernement et la société américaine était en cours. Avant l’attentat, de nombreux Américains s’étaient élevés contre la « croissance incontrôlée du pouvoir à Wall Street ». Cependant, après l’explosion, Wall Street fut perçue comme un symbole de patriotisme, et quiconque exprimait une critique envers elle était rapidement dénoncé comme un soutien à la violence et au terrorisme.

Caricature réprimant l’activité rouge

Malgré la certitude affichée par la police et le Bureau des Investigations quant à la responsabilité des anarchistes italiens dans l’attentat de Wall Street en 1920, leurs preuves se limitaient essentiellement au tract retrouvé à proximité de l’explosion. De nombreuses arrestations et interrogatoires eurent lieu dans le cadre des raids de Palmer, mais toutes les pistes se révélèrent infructueuses.

Les autorités, comme le précise la source Untapped Cities, maintenaient l’analyse selon laquelle « l’attentat était un complot terroriste orchestré par des anarchistes et des sympathisants communistes farouchement anti-capitalistes ». Pourtant, aucun suspect ne fut jamais inculpé ni condamné.

Selon Damn Interesting, le FBI et la police de New York abandonnèrent officiellement l’enquête en 1940, faute d’avoir identifié des coupables convaincants. Toutefois, en 1944, ils imputèrent l’attentat aux anarchistes italiens, s’appuyant sur la campagne de bombes menée en 1919 pour justifier cette conclusion.

L’enquête fit également l’objet de tentatives pour retracer l’impression des tracts, sans succès, comme le mentionne le FBI. Parmi les indices matériels, les enquêteurs découvrirent le forgeron qui avait ferré le cheval attelé au chariot piégé. Sa description – un homme sicilien âgé de 25 à 30 ans – n’apporta cependant aucune piste supplémentaire.

Les prédictions d’Edwin Fischer

Attentat de Wall Street en 1920

Parmi les individus étroitement surveillés par les autorités figurait Edwin Fischer, un champion de tennis américain. Il aurait averti ses proches qu’une attaque allait se produire sur Wall Street, allant jusqu’à leur envoyer des cartes postales les incitant à quitter les lieux avant le 16 septembre.

Lors de son interrogatoire, Fischer portait une tenue de tennis sous son costume, prêt à participer à un match à tout moment. Interrogé sur la source de ses informations, il déclara recevoir des messages « par les airs, venant de Dieu ».

Les policiers découvrirent rapidement que ce n’était pas la première fois que Fischer prévenait d’éventuelles explosions. Ses amis confirmaient qu’il évoquait fréquemment de telles menaces, bien qu’il fût considéré comme un homme charmant, sujet à des accès d’ »épisodes irrationnels ». Les enquêteurs conclurent qu’il n’était pas lié à l’attentat et décidèrent de le faire interner dans un établissement psychiatrique.

Fischer fut ainsi interné et diagnostiqué comme « insensé mais sans danger ». Son cas illustre la complexité des investigations entourant l’attentat de Wall Street, mêlant rumeurs, prémonitions et tensions sociales fortes dans l’Amérique des années 1920.

Certains ont suggéré que l’attentat de Wall Street fut une forme de vengeance liée à l’inculpation pour meurtre de Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti, survenue cinq jours plus tôt à Dedham, dans le Massachusetts. Mario Buda, un proche de Sacco et Vanzetti, fut même soupçonné et examiné par les autorités, avant de quitter le pays peu après l’explosion.

Sacco et Vanzetti

Cependant, il est difficile de confirmer que cet attentat ait réellement été un acte de représailles direct de cette nature. Le Bureau des enquêtes lia l’attentat aux anarchistes italiens principalement en raison d’un tract retrouvé à proximité, ce qui laisse penser qu’ils cherchaient avant tout à établir un lien avec le procès Sacco et Vanzetti pour justifier une piste. De plus, lorsque la violence surgissait réellement en réaction à ce procès, son lien était manifeste. Par exemple, en 1932, le juge chargé du dossier vit sa maison faire l’objet d’un attentat à la bombe, une association évidente avec son rôle dans cette affaire judiciaire.

En réalité, ni le Bureau des enquêtes ni la police n’ont jamais réussi à établir un mobile concret derrière l’attentat. Certains ont avancé que la cible principale était J.P. Morgan, alors cependant absent et se trouvant en Écosse. Au final, ce que retient l’Histoire de cet événement demeure surtout la portée symbolique : “l’attentat de Wall Street a frappé les puissants et tué des innocents”, comme l’écrit un observateur contemporain.

Héritage de l’Attentat de Wall Street

Façade de Wall Street

Étonnamment, de nombreux sites consacrés à l’histoire de Wall Street ne mentionnent pas l’attentat de 1920 dans leur chronologie. De plus, sur place, aucun monument ni plaque commémorative ne rappelle cet acte terroriste, pourtant l’un des plus meurtriers de l’histoire américaine. Aucune inscription, aucun signe visible n’indique que cet endroit fut le théâtre d’une tragédie d’une telle ampleur.

Cependant, des traces physiques subsistent. La façade en calcaire du 23 Wall Street porte encore aujourd’hui les impacts des éclats de l’explosion survenue il y a près d’un siècle. Ces cicatrices, discrètes mais authentiques, restent le seul témoignage tangible de l’attaque sur le site même. Fait révélateur, la célèbre institution J.P. Morgan a même affirmé publiquement qu’elle ne réparerait jamais ces dommages, préférant conserver les marques de l’histoire.

Mais cet oubli volontaire s’inscrit dans une stratégie. Selon certaines sources, la banque Morgan voulait rapidement tourner la page afin d’éviter un malaise commercial. Le silence autour de l’événement relevait d’un choix délibéré pour « oublier » au plus vite, au détriment de la mémoire collective.

Pour le centenaire de l’attentat, la ville ne prévoyait aucune commémoration officielle. C’est alors que Brian Andersson, ancien commissaire aux archives de la ville, a pris l’initiative d’organiser un hommage. Conscient de l’importance de cet épisode méconnu, il déclara : « Je connais ce fait sur ma ville natale depuis toujours et j’ai décidé qu’il devait être honoré dignement. Comme personne n’en avait pris la responsabilité, c’est moi qui me suis engagé. »

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