Le Cataclysme de Londres : Inondation de 1928 Dévoilée

par Zoé
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Le Cataclysme de Londres : Inondation de 1928 Dévoilée
Royaume-Uni

Tout au long de son histoire, Londres a été régulièrement confrontée à de nombreuses inondations. Même au XXIe siècle, certaines zones de la capitale présentent encore un risque annuel d’inondation situé entre 1 % et 3,3 %. Cependant, l’inondation de Londres en 1928 reste, à ce jour, un événement sans précédent.

Inondation de la Tamise en 1928

Des milliers de personnes furent déplacées lorsque leurs habitations furent détruites irrémédiablement par la crue. Malgré le fait que les populations les plus modestes aient été les plus durement touchées, les autorités refusaient alors de mener une enquête sur le rôle que la pauvreté aurait pu jouer dans le nombre des victimes.

Entre 2000 et 2015, la proportion de personnes vivant dans des zones à risque d’inondation a augmenté de près de 25 % à l’échelle mondiale. Cette tendance ne devrait que s’accentuer à cause du changement climatique. Par ailleurs, ses conséquences ne frappent pas tout le monde de manière égale : ce sont surtout les populations socialement et économiquement défavorisées qui en pâtissent le plus.

Il est donc pertinent de se pencher sur cet épisode historique où une catastrophe naturelle s’est abattue sur une métropole, affectant plus gravement les habitants les plus vulnérables, et sur le laps de temps qu’il a fallu pour qu’une réponse efficace soit enfin mise en place. Voici ce qui s’est réellement passé lors de l’inondation de Londres en 1928.

Têtes de lions en fonte le long de la Tamise

Au cours des deux derniers millénaires, la Tamise a connu une transformation remarquable. D’après l’ouvrage The Fabric of Space de Matthew Gandy, l’amplitude des marées dans la Tamise est passée de moins d’un mètre à plus de sept mètres entre l’époque romaine et le XXIe siècle. Aujourd’hui, la zone inondable due aux marées couvre près de 35 000 hectares, s’étendant de l’ouest de Londres jusqu’à de larges parties du centre et de l’est de la capitale, sans oublier les zones côtières du Kent et de l’Essex bordant l’estuaire de la Tamise.

Face à ce risque constant, des réponses législatives et techniques ont été mises en place. La Thames River Prevention of Floods Amendment Act de 1879, aussi appelée Metropolis Management Amendment Act, imposait aux propriétaires riverains la maintenance des protections contre les inondations. Malgré ces avancées, les prévisions de crues restaient à l’époque très primitives.

Un vestige emblématique de ce système d’alerte ancien subsiste encore aujourd’hui le long des murs surélevés de la Tamise : une série de têtes de lions en fonte, surnommées les « Lions de la Tamise ». Dessinées par le sculpteur Timothy Butler, elles ont été installées lors de la construction du réseau d’égouts londonien dirigée par Joseph Bazalgette. La légende populaire associée à ces sculptures avertissait les Londoniens par ces vers : « Quand les lions boiront, Londres sombrera / Quand l’eau atteindra leurs crinières, nous serons emportés par les égouts ».

Inondation sur la Tamise et opérations de secours à Londres en 1928

La tempête de neige de Noël 1927 fut, selon les archives, la plus violente que Londres ait connue en un demi-siècle. Le centre de la capitale britannique reçut près de 25 centimètres de neige, tandis que dans les Cotswolds, l’épaisseur atteignit jusqu’à 60 centimètres. Dans de nombreuses régions en dehors de Londres, la neige persista bien après le Nouvel An.

Lorsque les vents venus du sud provoquèrent une fonte rapide suivie de fortes pluies, toutes ces eaux de fonte, ajoutées aux précipitations, se déversèrent dans la Tamise. Cette accumulation causa une montée inexorable du niveau de l’eau durant la nuit du 6 janvier, conduisant à l’effondrement du mur de soutènement près du pont de Lambeth, en face du musée Tate Britain.

La rupture du mur permit une vague d’eau déferlante de se répandre dans la ville, inondant les rues et s’infiltrant dans les habitations. Face à la crue, les habitants ne purent souvent que chercher refuge sur des terrains plus élevés, observant impuissants la montée des eaux en attendant leur retrait.

Si à Southend la hausse n’excédait pas 1,2 à 1,5 mètre, à Londres, les niveaux atteignirent un record historique. Vers 1h30 du matin, le fleuve en crue dépassa les 5,5 mètres, atteignant la limite même des défenses contre les inondations. Bien que la montée des eaux fût éphémère, durant quelques heures seulement, les conséquences furent dramatiques : de nombreux décès furent déplorés et la ville subit d’importants dégâts matériels.

Maisons détruites par l'inondation de la Tamise

En l’espace de quelques heures seulement, des milliers de Londoniens se sont retrouvés sans domicile et privés de tous leurs biens. Selon les estimations, jusqu’à 4 000 personnes ont été rendues sans-abri à cause de l’inondation de Londres en 1928. Les quartiers populaires ont été les plus durement touchés, notamment les ruelles étroites de taudis, souvent inondées sous plus d’un mètre d’eau.

Le bilan humain s’est aggravé avec au moins 14 décès par noyade, touchant majoritairement des personnes vulnérables vivant dans des logements précaires. L’histoire d’Alfred Harding reste particulièrement poignante : cet homme n’a pas pu sauver quatre de ses filles qui dormaient dans une seule pièce du sous-sol noyé. L’eau, trop profonde, a rendu toute tentative de secours impossible malgré sa force et son courage.

Lorsque les eaux ont commencé à refluer, le maire de Bermondsey a annoncé que près de 1 000 habitations étaient désormais « inhabitables » en raison d’une contamination par du goudron de créosote. Beaucoup de familles ont évité de revenir dans leurs foyers, et celles qui ont tenté de réintégrer leur logement ont dû faire face à une curiosité envahissante. Partout où une fenêtre était ouverte, des groupes d’observateurs se pressaient, animés d’une sympathie inquisitrice, pour contempler ces pauvres demeures dévastées. Certains ont même profité du désarroi des sinistrés en exigeant des frais pour leur montrer les dégâts dans ces foyers dévastés.

Douves de la Tour de Londres en 1928

À l’origine, les douves de la Tour de Londres furent creusées au XIIIe siècle sous le règne d’Henri III afin de servir de défense périmétrique. Son successeur, Édouard Ier, fut le premier à relier ces douves à la Tamise en les remplissant d’eau. Cependant, du fait des fluctuations du niveau de la rivière et d’un système de drainage irrégulier, les douves devinrent rapidement un marécage nauséabond, plus qu’un rempart efficace.

Progressivement, cette stagnation d’eau se transforma en un véritable foyer de maladies. Plusieurs soldats de la Tour succombèrent notamment à une épidémie de choléra, ce qui conduisit au drainage complet des douves en 1843. Depuis lors, elles demeurèrent à sec pendant plus de quatre-vingts ans, jusqu’à ce que l’inondation dévastatrice de Londres en 1928 vienne chambouler cet état des lieux.

Alors que la Tamise débordait, elle remplit pour la première fois depuis près d’un siècle les douves de la Tour. Le Poverty Bay Herald relatait à cette époque : « La Tour semble retrouver son aspect d’antan après des siècles. Les douves atteignent 4,5 mètres de profondeur et deux pieds d’eau couvrent la place d’entraînement des gardes. »

Au-delà des effets visibles en surface, les dégâts causés en souterrain furent presque inimaginables. Les lignes de chemin de fer souterraines furent déplacées par la montée des eaux, et plusieurs centrales électriques paralysées. De nombreuses stations, dont certaines en amont comme Putney, furent submergées. De plus, les tunnels de Blackwall et Rotherhithe devinrent totalement inaccessibles. Des lieux emblématiques tels que Westminster Hall, ainsi que des infrastructures industrielles comme la centrale de Lots Power et les usines à gaz de Wandsworth, connurent également de graves inondations.

Dégâts au Tate Britain

Dégâts au Tate Britain

Lorsque le mur près du pont de Lambeth s’est effondré, le Tate Britain fut l’un des premiers endroits à subir les dégâts de l’inondation. Un malheur supplémentaire s’est produit lorsque l’eau a infiltré les étages par des voûtes partiellement remplies, vestiges de la démolition incomplète en 1892 de l’ancienne prison de Millbank qui occupait les lieux.

Au total, 18 œuvres d’art furent détruites irrémédiablement. Plus de 200 furent gravement endommagées, tandis qu’une soixantaine ne subirent que des dégâts légers. Cependant, plus de 100 œuvres, dont la fresque récente de Whistler dans le restaurant, furent simplement submergées sans dommages durables.

Les œuvres n’étaient pas les seules à risquer leur sécurité. Le directeur du Tate Britain, Charles Aitken, dut être secouru après être tombé dans une bouche d’égout inondée, soulignant le chaos généralisé à l’intérieur du musée.

Certaines peintures jugées perdues ont cependant connu une renaissance au XXIe siècle. Parmi elles, « La Destruction de Pompéi et Herculanum » de John Martin, que l’on croyait irrémédiablement détruite, fut restaurée en 2010 par les conservateurs du musée. Bien que l’on puisse distinguer des retouches au pinceau du restaurateur, Sarah Maisey a veillé à préserver l’impact visuel original de cette œuvre monumentale.

Inondation de la Tamise

Plusieurs facteurs conjoints ont fait de l’inondation de 1928 la catastrophe la plus dévastatrice jamais enregistrée à Londres. La fonte des neiges de Noël suivie de fortes précipitations ont considérablement alourdi la charge, mais cela aurait pu rester gérable. Cependant, l’association avec des marées exceptionnellement hautes, provoquées par des vents violents générant une élévation anormale et remarquable du niveau de la mer lors de « la haute mer de vive-eau », a créé une situation propice à un désastre.

La Tamise subit régulièrement des surcotes marines, mais toutes ne se traduisent pas par des dégâts mortels. Par exemple, en 1922, une surcote fit monter le niveau de la mer à Southend de 3,35 mètres au-dessus de la normale. Toutefois, puisqu’elle survint deux heures après la basse mer, aucune conséquence grave ne s’ensuivit, comme le décrit Matthew Kelly dans The Thames Barrier. En revanche, en 1928, la surcote fut moindre, avec une élévation d’environ 1,50 mètre, mais elle coïncida avec la marée haute, provoquant ainsi l’inondation catastrophique.

Dans son ouvrage Inhabitable Infrastructures, CJ Lim souligne que cette situation fut aggravée par des dragages majeurs de la Tamise réalisés entre 1909 et 1928. Ces opérations, destinées à améliorer la navigation, facilitèrent en réalité le reflux de l’eau de mer lors des marées hautes.

  • Le dragage augmenta le débit moyen des marées d’environ 4 %.
  • Il fit également croître l’amplitude des marées d’environ un mètre.

Isolément, ces changements paraissaient minimes, mais ils ont clairement aggravé la gravité de l’inondation londonienne de 1928, contribuant ainsi à l’une des catastrophes naturelles historiques les plus marquantes de la ville.

Conséquences de l'inondation de la Tamise

Les réparations des dégâts causés par l’inondation allaient prendre plusieurs années. Dans le seul quartier de Bermondsey, les dommages furent estimés à environ 136 000 dollars en 1928, ce qui équivaut aujourd’hui à plus de 2,2 millions de dollars. Cette catastrophe toucha particulièrement les populations les plus vulnérables, car nombre de victimes avaient perdu leur logement sans être assurées, tandis que les commerces assurés ne bénéficiaient pas généralement de couverture en cas d’inondation.

En réaction à cette catastrophe, les autorités élevèrent les murs et quais le long de la Tamise pour prévenir de futures inondations. Cependant, continuer sur cette voie aurait progressivement rendu la rivière invisible, ensevelie derrière ces protections. Ce constat suscita un vif débat parmi les responsables londoniens concernant la nature du problème : était-il de drainage des terres, de réformes sociales ou d’entretien des défenses contre les crues ?

Si la responsabilité des inondations incombait à la mauvaise gestion des protections, cela impliquait une réforme de l’administration locale. À l’inverse, relier les décès à la pauvreté soulignait la nécessité de transformations sociales, les populations défavorisées vivant dans les zones les plus exposées aux risques.

Face à l’ampleur de la crise, la presse et le Parlement exigèrent une enquête officielle. Le Premier ministre de l’époque, Stanley Baldwin, organisa une conférence d’investigation sur l’inondation de Londres de 1928, privilégiant toutefois une focalisation sur les aspects techniques liés aux inondations plutôt que sur la gouvernance urbaine ou la réduction de la pauvreté.

Inondation sur la Tamise à Londres

La conférence organisée après la catastrophe a rassemblé l’Autorité portuaire de Londres, le Conseil de conservation de la Tamise ainsi que diverses autorités locales et régionales. Leur objectif était d’examiner en détail les causes et les conséquences des inondations de la Tamise.

Dans ce cadre, un Sous-comité technique a rapidement été créé pour étudier les phénomènes de crue, analyser les défenses contre les inondations et envisager la mise en place d’un système d’alerte. Si ce groupe a reconnu que la crue de 1928 résultait principalement d’un phénomène naturel aggravé par plusieurs événements simultanés, il a cependant insisté sur la nécessité d’approfondir les recherches sur les inondations liées aux marées. Cette démarche était cruciale pour concevoir des protections efficaces sans engendrer de coûts excessifs, comme le soulignait une étude de l’Université de Manchester.

Bien que certaines mesures locales aient été mises en œuvre, à l’image de la création du Desborough Cut en 1935 pour limiter les crues locales, aucun grand projet d’envergure visant à prévenir les inondations aux abords de Londres n’a vu le jour immédiatement après. Comme le souligne l’historien Gavin Weightman dans London’s Thames, « rien n’a été entrepris jusqu’aux suites des grandes inondations » survenues en 1953.

Thames barrier

L’histoire de la protection contre les inondations à Londres prend un tournant majeur après la crue dévastatrice de la mer du Nord en 1953. Survenue les 31 janvier et 1er février, cette catastrophe naturelle a provoqué des inondations “sans précédent” en Angleterre et aux Pays-Bas, entraînant la mort de plus de 2 000 personnes, essentiellement aux Pays-Bas, et inondant plus de 500 000 acres de terres.

Bien que Londres n’ait pas été directement touchée par cet événement, l’est de l’Angleterre a subi de lourds dégâts en raison de milliers de kilomètres de digues qui ont cédé. Cette tragédie a mis en évidence la vulnérabilité croissante de la capitale face aux montées subites des eaux et a révélé qu’il ne s’agissait plus que d’une question de temps avant qu’une marée exceptionnelle ne frappe Londres.

Une enquête conduite par le vicomte Waverley après la catastrophe a souligné que l’intensification des phénomènes d’inondation serait aggravée par le changement climatique. Tandis que les Pays-Bas ont immédiatement renforcé leurs défenses côtières, l’Angleterre a tardé à agir : ce n’est qu’après les inondations majeures à Hambourg en 1962 que la construction d’une barrière anti-inondation sur la Tamise a réellement débuté.

Entre 1975 et 1983, la célèbre barrière de la Tamise a été construite, s’étendant sur plus de 550 mètres entre Greenwich et Woolwich. Cette réalisation impressionnante utilise une série de vannes en acier, larges de 61 mètres et hautes de 20 mètres. Elles peuvent se fermer pour former un véritable mur continu face au courant, capable de retenir les crues spectaculaires et de protéger Londres des futures inondations majeures.

Thames House

Après la Première Guerre mondiale, le MI5, agence britannique chargée du contre-espionnage intérieur et de la sécurité, établit son quartier général sur Cromwell Road. Cependant, ce siège ne dura que quelques années avant que l’organisation ne s’installe à Thames House, dans le quartier de Millbank, comme le relate Christopher M. Andrew dans son ouvrage The Defence of the Realm.

Bien que le MI5 ait déplacé son siège pendant la Seconde Guerre mondiale puis durant la Guerre froide, il revient en 1995 à Thames House, consolidant ainsi son ancrage dans ce lieu chargé d’histoire.

Dans 100 Places You Will Never Visit, Daniel Smith explique que la présence du MI5 à Millbank découle directement des conséquences de l’inondation de Londres en 1928. Ce quartier central fut le plus durement touché par la catastrophe et dut être quasiment entièrement reconstruit. Avant la crue, la zone était perçue comme un véritable bidonville – un espace insalubre et délabré. La destruction provoquée par l’inondation permit ainsi de raser les anciennes habitations et d’ouvrir la voie à la construction de nouveaux immeubles de bureaux et d’appartements. Toutefois, il demeure incertain que les anciens résidents aient eu la priorité pour accéder à ces nouvelles habitations.

Thames House, œuvre de l’architecte Sir Frank Baines, est un imposant immeuble de bureaux construit sur les ruines du Millbank détruit. À l’époque, ce bâtiment fut qualifié par le MI5 comme « le plus bel immeuble de bureaux de l’Empire britannique ». Toutefois, l’architecte et historien Sir Nikolaus Pevsner exprima publiquement son aversion pour le toit de la bâtisse, qu’il jugeait d’une « vilaine couleur jaune fromage ».

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