La culture occidentale a souvent tendance à élever ses figures publiques au rang de héros mythiques, exagérant leurs accomplissements et les rendant presque légendaires. Aucun personnage du XXe siècle n’a été plus mythifié que le président John F. Kennedy, assassiné alors que sa voiture traversait Dallas, Texas, le 22 novembre 1963. Ce meurtre a provoqué un choc mondial, suscitant une multitude de théories du complot et érigeant Kennedy en martyr.
Kennedy, âgé de seulement 46 ans à sa mort, avait accompli beaucoup en peu de temps. Considéré comme un héros de guerre malgré des problèmes de santé et de douleurs lombaires chroniques, il est devenu auteur reconnu après son service militaire, puis député à 29 ans. Il a été réélu trois fois avant de devenir sénateur en 1952 et de remporter la présidence en 1960 à seulement 43 ans, devenant le plus jeune président des États-Unis. Il a notamment joué un rôle crucial dans la résolution de la crise des missiles de Cuba, souvent considérée comme la plus proche menace d’une guerre nucléaire.
À la suite de sa mort prématurée, Kennedy fut érigé en symbole des valeurs progressistes, son assassinat survenant alors que le Mouvement des droits civiques battait son plein. Cependant, était-il réellement l’allié enthousiaste que certains décrivent ? Les faits suggèrent le contraire, indiquant que Kennedy a peut-être été contraint de présenter des mesures en faveur des droits civiques sous la pression politique, et non par un engagement sincère et immédiat pour l’égalité.
La pression sur Kennedy pour légiférer sur les droits civiques
L’accession de John F. Kennedy à la présidence s’est faite en grande partie grâce au soutien des électeurs afro-américains, qui voyaient en lui le candidat démocrate le plus susceptible d’instaurer un véritable changement. En 1960, le Mouvement des droits civiques commençait à gagner en visibilité et était sur le point d’imposer de réelles réformes politiques. Sous la direction du pasteur baptiste Martin Luther King Jr., qui militait contre la ségrégation raciale depuis le milieu des années 1950, ce mouvement mobilisait des millions d’Américains noirs aspirant à une véritable égalité dans une Amérique du XXe siècle.
Avant la victoire de JFK, la famille Kennedy s’était rapprochée des défenseurs des droits civiques en contribuant à la libération de Martin Luther King après son arrestation lors d’une manifestation à Atlanta, en Géorgie. Ce soutien avait valu l’appui public du père de King à Kennedy pour la présidentielle. Le candidat démocrate avait ainsi obtenu près de 70 % des suffrages afro-américains, l’engageant politiquement à faire progresser la cause de l’égalité sous peine de perdre son électorat noir.
La peur de Kennedy de perdre le Congrès
La majorité de Kennedy au Congrès était très fragile, et il craignait de perdre des appuis parmi les parlementaires du Sud hostile à la déségrégation. Il envisageait de reporter l’adoption de lois sur les droits civiques à son éventuel second mandat, préférant d’abord aborder des dossiers moins sensibles susceptibles de ne pas affaiblir son pouvoir exécutif.
Cependant, des événements comme les Freedom Rides inspirés par Rosa Parks, l’usage brutal de la force par la police contre des Afro-Américains — y compris des enfants — à Birmingham sous le commissaire Eugene « Bull » Connor, ou encore les efforts du gouverneur George Wallace pour empêcher l’entrée d’étudiants noirs à l’Université de l’Alabama, ont forcé l’administration Kennedy à agir. Malgré ses réserves quant à l’impact que cela pourrait avoir sur sa présidence, en juin 1963, Kennedy prononça un discours marquant annonçant la préparation d’un projet de loi sur les droits civiques, qui allait devenir une avancée historique.
Kennedy et la Marche sur Washington
Après que le projet de loi des droits civiques fut soumis au Congrès, les leaders du mouvement estimèrent nécessaire d’organiser une manifestation d’ampleur afin de soutenir publiquement cette initiative souvent longue et complexe. Inspirée par la marche prévue en 1941 par A. Philip Randolph pour dénoncer la discrimination raciale dans l’armée, Martin Luther King Jr. et ses alliés organisèrent la « Marche sur Washington pour l’emploi et la liberté ». Cet événement à grande échelle rassembla plus de 250 000 personnes et culmina avec le célèbre discours « I Have a Dream » de King, devenu un message emblématique du mouvement.
Toutefois, malgré son soutien officiel aux droits civiques et les progrès réalisés par son administration en matière de déségrégation, Kennedy restait hésitant face à cette mobilisation. Selon les archives, il craignait que la marche ne compromette le passage de la législation au Congrès et choisit de ne pas la soutenir publiquement. Le président reçut néanmoins les organisateurs au Bureau ovale après la manifestation.
Malheureusement, la marche n’a pas suffi à endiguer la violence envers les Afro-Américains. Kennedy fut assassiné trois mois plus tard, sans que sa loi sur les droits civiques n’ait été adoptée. Ce n’est qu’en 1964, sous la présidence de Lyndon B. Johnson, que ce texte vit le jour, suivi en 1965 par la loi sur le droit de vote. La disparition de Kennedy permit à Johnson de rassembler un soutien bipartisan sur un sujet que le regretté président avait perçu comme difficile à mener à bien dans l’espace restreint de son mandat.