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Les origines de Black Myth: Wukong dans la mythologie chinoise
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Le jeu « Black Myth: Wukong » a révolutionné l’univers des jeux vidéo dès sa sortie en août 2024, pulvérisant les records avec plus de 2,2 millions de joueurs simultanés sur Steam, surpassant des blockbusters tels que « Elden Ring » et « Cyberpunk 2077 ». Développé par la start-up chinoise Game Science, comptant seulement 140 employés, il a reçu un immense soutien de son pays d’origine. Selon des rapports, certaines entreprises en Chine ont même pris en charge le coût du jeu pour leurs employés, leur accordant du temps libre pour se plonger dans cette aventure.
Cette popularité s’explique en partie par ses liens avec la littérature et la mythologie chinoises classiques. En effet, « Black Myth: Wukong » s’inspire du célèbre roman chinois Voyage en Occident, écrit par Wu Cheng’en et publié en 1592 durant la dynastie Ming. L’œuvre repose sur le parcours d’un moine bouddhiste nommé Xuanzang, qui, sous le nom de Tang Sanzang, se rend en Inde afin de ramener des sutras sacrés. Xuanzang a vécu entre 602 et 644 et a réussi à revenir avec ces textes, bien que comme « Black Myth », Voyage en Occident soit une fiction remplie d’histoires de démons, de monstres et surtout, du célèbre Sun Wukong — connu sous le nom de Roi-Singe — et de ses affrontements avec le Ciel.
Un conte classique chinois
Dans « Black Myth: Wukong », les joueurs incarnent le Destiné, aussi connu sous le nom de Roi des Singes, après les événements de « Voyage en Occident ». Ce roman est souvent considéré comme la première mention de Sun Wukong, bien qu’il pourrait représenter une figure encore plus ancienne de la mythologie chinoise. Son prédécesseur, le Pèlerin Singe, apparaît déjà à l’époque de la dynastie Song (960-1279), des siècles plus tôt. Néanmoins, il a été popularisé par « Voyage en Occident », qui dépeint un récit allégorique du voyage du moine Xuanzang en Inde et son retour en Chine. Une fois rentré, il traduit 75 des soutras qu’il a obtenus en chinois, ouvrant ainsi la voie au bouddhisme dans le pays et au-delà.
L’histoire commence par un événement qui peut sembler familier : une pierre magique se brise. Selon la légende chinoise, cette pierre repose au sommet de la Montagne des Fleurs et des Fruits depuis le début des temps. « Depuis le début de la Création, elle avait été réceptive à la vérité du Ciel, à la beauté de la Terre, à l’essence du Soleil et à l’éclat de la Lune ; et comme elle avait été influencée par eux si longtemps, elle possédait des pouvoirs miraculeux », peut-on lire dans le livre. « Elle a développé un ventre magique, qui s’est ouvert un jour pour donner naissance à un œuf de pierre à peu près de la taille d’une balle. » Le vent souffle sur l’œuf, et de celui-ci naît le Roi des Singes : « un singe de pierre, doté des cinq sens et de quatre membres », qui finit par apprendre à marcher.
Un entraînement surnaturel dans la quête de l’immortalité
Dans « Voyage en Occident », le Roi Singe fait la connaissance d’autres singes sur la Montagne des Fleurs et des Fruits, où il finit par établir un foyer pour eux dans la Grotte de la Cascade d’Eau. Ces lieux auraient des correspondants dans le monde réel, situés dans la ville de Lianyungang, dans la province du Jiangsu en Chine. Il devient finalement leur roi, établissant un royaume composé de gouverneurs, d’officiers et d’assistants. Tout semble aller pour le mieux pour Sun Wukong, jusqu’à ce qu’il prenne conscience de sa mortalité, ce qui engendre en lui une peur profonde de la mort.
Lors d’un banquet, en larmes, il confie à ses compagnons : « Le temps viendra où nous seront vieux et faibles, et le royaume des Enfers sera dominé par le Roi des Morts. Quand viendra le moment de mourir, nous ne pourrons plus vivre parmi les Bienheureux, et nos vies auront été vaines. »
Cette désespérance pousse Sun Wukong à entreprendre un voyage à la recherche de l’immortalité. Ce périple le conduit vers la Montagne du Coeur de la Tour Spirituelle et la Grotte de la Lune Couchante et des Trois Étoiles. C’est ici qu’il rencontre le sage immortel Puti Zushi, qui l’accepte comme disciple et lui enseigne à manier des pouvoirs magiques à travers les pratiques du Taoïsme. Ce sont ces pouvoirs que l’on peut observer dans « Black Myth : Wukong », tels que la capacité de se cloner en tirant sur ses cheveux, de se transformer en d’autres créatures, et le saut nuageux, un bond magique pouvant le propulser jusqu’à 60 000 milles par saut.
Une place dans les cieux
Dans « Le Voyage en Occident », l’histoire prend un tournant que l’on retrouve souvent dans les contes modernes : à mesure que le pouvoir du Roi Singe grandit, son arrogance croît également. Avide de puissance, il sollicite une place au paradis parmi la bureaucratie céleste. Cependant, l’Empereur de Jade le dupe en lui attribuant le poste de Protecteur des Chevaux, une fonction dévalorisée, semblable à celle d’un palefrenier dans le monde contemporain.
Sun Wukong finit par réaliser qu’il a été trompé et déclare la guerre au ciel. Après avoir volé les pêches de l’immortalité, il pénètre dans le Palais Tushita, « le plus haut des trente-trois cieux, où règne le Seigneur Lao Zi du Grand Monad » (Laozi étant considéré comme le fondateur du taoïsme et l’auteur du célèbre « Tao Te Ching »). Là, le Roi Singe dérobe des pilules d’élixir d’immortalité et s’échappe par la Porte Ouest du Ciel grâce à un sort d’invisibilité.
Le Roi Céleste Li, commandant de l’armée céleste, engage alors une lutte acharnée contre le Roi Singe. Cette bataille est décrite comme « terrifiante ». Pourtant, Sun Wukong réussit à vaincre les 100 000 guerriers célestes, les Quatre Rois Célestes, et le fils du commandant, le Prince Nezha (une divinité protectrice de la mythologie chinoise). La puissance de Sun Wukong est trop grande pour le Ciel, si bien que la bureaucratie céleste décide de faire appel au Bouddha, qui parvient à le capturer et à l’enfermer sous la Montagne des Cinq Éléments.
Un nouveau voyage
À ce moment de l’histoire, « Le Voyage en Occident » se tourne vers le récit authentique du moine bouddhiste Xuanzang. Enfermé dans la montagne, le Roi Singe réfléchit à ses actions et finit par être libéré, à une condition : il doit servir de garde du corps au moine bouddhiste Tang Sanzang (ci-dessus), un personnage inspiré de Xuanzang. À partir de ce point, le récit couvre les voyages de Sun Wukong avec Sanzang et d’autres pécheurs en quête d’illumination, affrontant des démons et des monstres appelés Yaoguai en chemin. Ces créatures apparaissent dans « Black Myth: Wukong » sous la forme de chefs Yaoguai et de puissants boss de l’histoire, les Rois Yaoguai.
Le terme « Yaoguai » désigne en chinois des créatures qui font souvent — mais pas toujours — référence à des démons. À l’instar du Roi Singe, ces entités ont également acquis leurs pouvoirs surnaturels grâce à des pratiques taoïstes et aspirent à atteindre l’immortalité. Les rois Yaoguai, semblables à leurs homologues de « Black Myth », sont connus pour dominer des démons moins puissants. Dans « Le Voyage en Occident », les Yaoguai cherchent à acquérir un statut divin en consommant la chair des hommes saints.
Un héritage similaire ?
Le voyage de Xuanzang de seize ans vers l’Inde et son retour revêt une importance majeure. Le témoignage de son accueil à son retour est particulièrement évocateur. Dans la traduction de Li Rongxi dans la Biographie du Maître Tripiṭaka du Grand Monastère Ci’en de la Grande Dynastie Tang, il écrit : « Tous les monastères envoient moines et nonnes dans leurs robes cérémonielles pour l’occasion. Les gens rivalisent pour préparer leurs meilleurs bannières, tapisseries, parapluies, tables précieuses et carrosses… avec le son des perles et des jades suspendus à leurs ceintures tintant dans l’air, au milieu de fleurs pliées éparpillées sur le chemin. Des érudits et des fonctionnaires locaux longent le parcours cérémoniel. »
Après avoir complété son périple de 10 000 miles à pied et à cheval, et traduit 75 sutras bouddhistes en chinois, cette religion devient non seulement plus prédominante en Chine, mais également mieux comprise à travers le monde. Il n’est donc pas surprenant que « Black Myth: Wukong » ait suscité autant d’intérêt. Ce jeu pourrait porter un héritage similaire à celui de Xuanzang lui-même, en contribuant à faire découvrir la mythologie chinoise à un large public et en l’aidant à mieux l’appréhender. « Ce n’est pas seulement un jeu chinois ciblant le marché chinois ou le monde chinoisophone », déclare Haiqing Yu, professeur à l’Université RMIT en Australie, dans une interview pour la BBC. « Des joueurs du monde entier jouent à un jeu riche de facteurs culturels chinois. »
Dans un article pour Asia Times, l’auteur et conférencier Gerui Wang suggère que le succès du jeu se fonde principalement sur la pertinence de son sujet mythologique. « Les thèmes du jeu — maîtriser des désirs débridés, combattre des dieux célestes puissants, lutter contre des traitements inéquitables — résonnent avec les joueurs modernes », écrit-elle. « Ces thèmes abordent des questions comme l’inégalité économique, la dégradation de l’environnement et l’exploitation par des industries puissantes, faisant de l’histoire plus qu’un simple jeu : c’est un reflet de ce dont la société a besoin actuellement. »