Sommaire
Le cas mystérieux de l’enfant sauvage Victor d’Aveyron
En décembre 1798, trois chasseurs dans la région du Tarn, dans le sud-ouest de la France, aperçurent un enfant grimpant rapidement dans un arbre. Intrigués, ils se rapprochèrent et découvrirent un garçon nu d’environ 11 ans, caché dans les branches d’un chêne. Malgré leurs appels, le jeune garçon ne semblait pas comprendre leurs mots. Ils réussirent à le faire descendre et l’amenèrent dans un village voisin, où ils le confièrent à une dame âgée. Ce garçon, au physique étrange, ne parlait apparemment aucune langue et affichait des comportements nerveux similaires à ceux des animaux, grognant et évitant le contact visuel.
Toutes ces observations furent documentées par le Dr E.M. Itard, qui allait par la suite s’occuper de lui. Dans son livre, « Un récit historique de la découverte et de l’éducation d’un homme sauvage » (publié en 1802), Itard décrivait l’enfant comme « dégoûtant » et « négligé… spastique… semblable à certains animaux du jardin zoologique, mordant et griffant ceux qui le contrariaient. »
En moins d’une semaine, le garçon réussit à s’échapper de chez la dame âgée. Les villageois le retrouvèrent errant, portant uniquement la chemise qu’on venait de lui donner. Un ecclésiastique parvint à le capturer et l’envoya à Paris, où une foule se rassembla pour voir celui qui allait devenir connu sous le nom de Victor d’Aveyron, l’enfant sauvage le plus célèbre de France.
Un enfant à jamais des bois
L’Institut national des sourds et muets de France s’intéressa au garçon étrange et décida de le placer sous la tutelle du Dr E.M. Itard, qui lui donna le nom de Victor. Itard observa les habitudes du garçon et en conclut que, comme Peter le garçon sauvage, il avait vécu toute sa vie en animal. Son corps, couvert de cicatrices, ne réagissait pas aux coups de feu, mais il se tendait à l’écoute du bruit d’une coquille de noix qui éclate. Victor aimait particulièrement les noix, un goût qu’il avait probablement développé en consommant des gland ou des fruits sauvages trouvés dans les bois.
Itard tenta d’apprendre à Victor à parler, mais le jeune garçon ne parvint jamais à développer un langage clair. Peu à peu, Victor apprit à se laver, à s’habiller, à exprimer de l’affection et à reconnaître quelques mots de français. Néanmoins, il ne réussit jamais à articuler plus que quelques syllabes gutturales et n’apprit jamais à dire son propre nom.
Était-ce la « table rase » ?
La découverte de Victor ne pouvait pas mieux tomber. Depuis le milieu du XVIIIe siècle, les enfants sauvages et les cultures dites « sauvages » avaient acquis un certain statut de culte en Europe. Des explorateurs britanniques, américains et français avaient enfin rencontré des sociétés qui n’avaient pas développé la même sophistication sociale et technologique que celles d’Europe, d’Inde, de Chine et d’autres civilisations pacifiées. Des terres exotiques comme Tahiti, cadre idyllique de la mutinerie du Bounty, semblaient être un vestige de l’enfance de l’humanité.
Des philosophes français tels que Jean-Jacques Rousseau étaient convaincus que la civilisation occidentale représentait une chute de la grâce. Selon lui, l’homme naissait noble et bon ; c’était le fait de posséder des biens et de commander autrui, inhérents à la civilisation, qui pervertissait les individus. En Angleterre, John Locke avait soutenu que l’esprit humain était une « table rase » à la naissance, façonnée par la culture qui l’entoure. Ces intellectuels scrutaient le monde à la recherche d’exemples de « nobles sauvages » dont la « table » n’avait pas été corrompue.
Victor d’Aveyron était l’un de ces « nobles sauvages », et le livre d’Itard affirme explicitement que le garçon représentait une chance pour la science d’explorer comment une conscience devient civilisée. Peut-être était-il inévitable qu’une telle expérience optimiste échoue. Victor décéda à 40 ans, toujours non-verbal, son identité demeurant inconnue.