Histoire
Au cours de l’ère coloniale, le métier de cordonnier – désigné alors par le terme de cordwainer – occupait une place essentielle dans le quotidien. Ces artisans, formés pendant plusieurs années, différaient nettement des « cobblers », dont la mission se limitait à réparer les chaussures fabriquées par les cordonniers. Dès les débuts, des figures notables ont marqué cette profession, telles que John Smith, fondateur de la colonie de Jamestown, dont le commerce de chaussures contribuait à financer l’établissement. Christopher Nelme arriva en 1619 en tant que premier cordonnier officiellement formé, tandis que Thomas Beard devint le premier cordonnier du New England en posant le pied à Plymouth en 1629.
Dans le New England, les cordonniers tenaient de petits ateliers souvent intégrés à leur domicile, confectionnant des chaussures sur mesure et conservant les formes en bois (lasts) pour servir leur clientèle fidèle. Sur de grandes fermes et plantations, plusieurs artisans travaillaient en interne. Il n’était pas rare que des personnes asservies soient formées aux métiers de la cordonnerie et à d’autres artisans, afin d’apporter leurs compétences au service de l’exploitation.
Parmi les spécialités, la fabrication de bottes occupait une position prestigieuse. Les bottes d’équitation, dites « jackboots » ou de parade, étaient réservées aux soldats et aux hommes de la haute société, conçues avec des empiècements en cuir serrés pour faciliter le contrôle des chevaux lors de la monte. La confection des chaussures féminines se distinguait par des modèles plus adaptés : des souliers légers et délicats, souvent en peau de chien pour des danses, des mules pour un usage intérieur et des pattens, ces sabots à semelle en bois destinés à affronter la boue.
En marge de leurs ateliers, les cordonniers itinérants parcouraient les villes, échangeant leur savoir-faire en matière de fabrication et de réparation de chaussures contre le gîte et le couvert, tout en diffusant les nouvelles locales et les ragots de passage. Les chaussures destinées à un usage quotidien, quant à elles, étaient conçues pour permettre de longues marches, avec des semelles en cuir, bois ou tissu, remplaçables à mesure de l’usure de la chaussure.
À partir des années 1760, les cordonniers coloniaux, fiers de pouvoir rivaliser avec les modèles importés de Grande-Bretagne, mirent en avant une campagne patriotique. Ainsi, l’achat de chaussures fabriquées localement devenait un symbole d’encouragement à la production nationale et un geste de soutien à la liberté des colonies. Tandis que certaines importations, fabriquées en soie, satin, cuir ou laine, étaient considérées comme des objets de luxe et de mode, opter pour des chaussures américaines était devenu un acte porteur de sens et de fierté patriotique.