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En 1963, le Los Angeles Times affichait que Los Angeles cherchait à devenir la capitale des braquages de banques. Dans les années 80, la région a pleinement mérité ce surnom, et les vols à main armée ont augmenté de près de 50 % entre 1975 et 1980, une part importante de ces braquages se produisant dans la zone urbaine de Los Angeles. Le braquage le plus marquant de cette période, celui de Norco en 1980, allait modifier durablement les pratiques policières américaines et révéler l efficacité des échappées rapides grâce à un vaste réseau autoroutier.
Le 9 mai 1980, cinq hommes lourdement armés avaient pris d assaut une succursale de la Security Pacific Bank à Norco, en Californie. À l arrivée des forces de l ordre deux minutes plus tard, les braqueurs avaient déployé leur arsenal et tiré des centaines de coups. À l issue de l affrontement, 33 véhicules de police furent endommagés, huit agents furent blessés et trois personnes furent tuées.
George Smith — cerveau et idéologue
George Smith, âgé de 29 ans, était le meneur des cinq braqueurs entrés dans la banque. Ancien artillier dans l armée américaine, il avait servi deux ans et avait été envoyé en Allemagne de l Ouest, où il avait côtoyé des armes nucléaires tactiques. Après cela, Smith travailla comme ouvrier d entretien à Cypress et fit la connaissance de Chris Harven, un collègue de 27 ans exposé à ses idées révolutionnaires et antigouvernementales.
Selon un ancien partenaire, Smith affichait une vision athée et affirmait ne pas croire en Dieu. Il deviendra toutefois profondément religieux, influencé par la culture chrétienne des jeunes du sud de la Californie. Ses convictions apocalyptiques tournaient autour de l enlèvement et du second avènement de Jésus, qui selon lui mènerait les croyants au ciel alors que le monde serait plongé dans le chaos. Ses expériences avec des armes nucléaires renforcèrent sa crainte d un éventuel conflit nucléaire entre les États‑Unis et l Union soviétique.
Cette religiosité et ce goût du survivalisme le conduisirent à déménager à Mira Loma avec Chris Harven. Ensemble, ils élaborèrent un plan pour se détourner de la société, se préparer à l Apocalypse et gagner de l argent en cultivant du cannabis sur 300 plants. Lorsque l entreprise ne connut pas le succès escompté, Smith imagina une autre voie rapide vers le gain: braquer une banque.
L équipe de Smith
Pour mener à bien son projet, Smith et son partenaire principal Chris Harven recrutèrent trois complices. Les premiers à les rejoindre furent les frères Belisario Billy Delgado et Manuel Manny Delgado. Billy, 17 ans et sans domicile fixe, serait le chauffeur de l évasion. Manny, 21 ans, résidait à Garden Grove et avait besoin d argent pour subvenir aux besoins de son second enfant. Manny avait pour mission d accompagner les autres lors de l assaut et Smith devait occuper le rôle de maître du temps.
Vint ensuite Russell Harven, le frère de Chris, 26 ans, père, vivant à Anaheim. Aucun des cinq n avait de casier judiciaire lourd, hormis quelques délits mineurs de drogue. Il s agissait de leur première et unique grande affaire.
Le plan et l exécution
Smith prévoyait le braquage à l adresse 10314, 50e Street à Mira Loma. Il confia à la police que le plan lui appartenait entièrement et qu il avait fait les bombes et fixé le tempo à deux minutes. Les préparatifs débutèrent environ une semaine et demie avant le jour J: Smith visita la banque et mémorisa son agencement pour faciliter une entrée et une sortie rapides dans ce cadre temporel serré.
Parallèlement, les braqueurs constituèrent un arsenal comprenant fusils Armalite, fusils à pompe, pistolets et des milliers de balles, avec neuf fusils Armalite. Les explosifs qu ils fabriquèrent dans le garage de Smith étaient ambitieux: grenades et bombes incendiaires destinées à être lancées ou tirées, ainsi qu un engin explosif improvisé destiné à détourner les forces de l ordre.
Avec ces armes et explosifs en sécurité, Russell Harven, Manny Delgado et Billy Delgado volèrent une fourgonnette au centre commercial de Brea, emmenant le propriétaire Gary Hakala jusqu à Corona. L étape finale consistait à placer l IED sur des conduites de gaz d un chantier au sud de Norco, afin de créer une diversion pendant qu ils pénétraient dans la banque.
Problème numéro 1 : la bombe ne saute pas
Les braqueurs mirent la bombe en place, allumèrent la mèche et attendirent l explosion. Celle‑ci ne se produisit pas. Privés de diversion, ils durent faire face à l ensemble des secours et choisissent néanmoins d avancer. Ils arrivèrent à la banque, située à l angle de Fourth et Hamner, à 15 h 30 environ. Vêtus de parkas et de masques de ski, Manny Delgado sauta sur le comptoir avec une carabine à canon lisse, tandis que Smith parcourait le hall avec un fusil HK91 en lançant des ordres. Harven menaçait et les porteurs du coffre furent contraints d ouvrir le coffre pour récupérer 20 000 dollars. Billy Delgado maintenait le véhicule en marche.
Sharon Dickens, employée de la banque, se souvint du tumulte: on entendit un bruit énorme et les braqueurs percutèrent les portes d entrée simultanément. Elle tenta d activer l alarme silencieuse mais le braqueur sur le comptoir menaça et dit que si l alarme sonnait, les balles fuseraient.
Problème numéro 2 : l arrivée de la police et les tirs
Smith voulait que l action dure deux minutes et imposa yeux et horloge à ses hommes pour qu ils s en tiennent au timing. Cependant, une patrouille de police arriva et Bolasky, un officier, se retrouva sur les lieux. Les braqueurs ouvrirent le feu et obligèrent Bolasky à quitter la rue, sa voiture de patrouille étant percutée par un véhicule passant.
Bolasky sortit de sa voiture et engagea un échange de tirs, déployant son fusil à pompe quatre fois à environ 25 mètres. Le quatrième tir toucha Smith à l aine et Billy Delgado au cou, les paralysant instantanément. Le véhicule des braqueurs, sans conducteur, s écrasa contre une clôture et les survivants se mirent à l œuvre et tirèrent sur Bolasky, Endommageant son véhicule à 42 reprises et blessant le policier, notamment par une veine sectionnée dans le bras.
Peu avant, l agent Andy Delgago arriva et ouvrit le feu sur les braqueurs. Peu après, le deputy Chuck Hille arriva et fut aussitôt pris pour cible. Débordés, les policiers furent néanmoins incapables d arrêter les braqueurs sur le champ. Hille réussit toutefois à atteindre Bolasky, à maîtriser les hémorragies et à le conduire à l hôpital communautaire de Corona.
Le départ de la chasse
Avec les deux autres agents à l hôpital, Delgado dut poursuivre seul les survivors et continua de tirer sur eux, mais restait trop loin pour les arrêter. Il observa les braqueurs voler une camionnette jaune et y charger un arsenal d armes et de munitions. Harven prit le volant, Smith à ses côtés et Manny et Russell dans la benne, tandis que les autres protégeaient le véhicule. Ils partirent vers le nord en tirant sur Delgado à mesure qu ils le dépassaient.
Quatre minutes s étaient écoulées depuis le braquage. Billy Delgado était mort, un policier était grièvement blessé et les 20 000 dollars avaient été abandonnés. Mais ce n était que le premier acte d une longue poursuite.
Les braqueurs s enfuirent vers le nord, grillant des feux et percutant divers véhicules. À chaque fois qu une unité de police approchait, ils ouvraient le feu avec une précision redoutable et blessèrent de nombreux agents et civils. Le sergent adjoint Rolf Parks déclara qu il s agissait probablement de la plus grande traque jamais menée et que son véhicule avait été endommagé par les tirs lorsque le camion jaune des braqueurs prit la direction du canyon de Lytle Creek.
Le sergent adjoint Jim Evans, l homme qui a donné sa vie
Alors que les braqueurs franchissaient le canyon, le sergent adjoint Jim Evans se lança à leur poursuite. Evans était né au Texas et avait servi dans les forces spéciales et au Vietnam avant de rejoindre le Riverside County Sheriff s Department. Décrit comme un véritable cow-boy, il portait jeans, bottes et chemise de cow-boy; il tomba amoureux d une femme nommée Mary Sweeney après qu elle eut signalé des violences conjugales. Ils se marièrent et eurent un enfant.
Un jour, alors que leur enfant était sur ses genoux, Evans confia à Mary: certains hommes ne voient jamais leurs fils grandir. Interrogé sur ce qu il voulait dire, il répondit que ce n était qu un pressentiment. Selon Norco 80, il militait pour que la police soit mieux équipée pour se défendre, mais rien ne fut jamais fait.
Le 9 mai 1980, Evans ne lâcha pas prise dans sa poursuite le long de la crête. Le shérif adjoint Daniel McCardy le suivait de près et tentait de rester en phase. Puis, la voiture d Evans freina brutalement derrière un virage. Derrière le virage se tenaient les braqueurs, qui avaient quitté leur véhicule et pris leurs positions. Evans se mit à l abri derrière sa voiture et réapprivoigna son arme lorsque McCardy observa ce qui se passait: tout ce à quoi il pensait était de ne pas se relever, mais Evans se releva et reçut une balle dans l œil droit qui le tua sur le coup. Tragiquement, la prémonition d Evans se réalisa.
Un stand‑off dans les montagnes de San Bernardino
Ébranlés par la mort de Jim Evans, McCardy tenta de se ressaisir. Mais les braqueurs concentrèrent leur action sur lui, bombardant sa voiture de tirs à chaque mouvement. Fort heureusement, McCardy parvint à repousser les braqueurs avec un fusil M16 trouvé dans l espace des preuves de son poste. Au matin, les policiers découvrirent Smith et les frères Harven sans résistance; Manny Delgado fut abattu par les forces de l ordre lorsqu il fut surpris en possession d une arme. Il fut touché à plusieurs reprises et la fusillade de Norco prit fin.
L héritage de la fusillade
George Smith, Chris Harven et Russell Harven furent reconnus coupables de meurtre au premier degré et de 45 chefs d accusation pour tentative de meurtre, agression, braquage à main armée, enlèvement et utilisation d explosifs. Ils furent condamnés à la prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle.
Aujourd hui, la plupart des habitants hors de Norco ont oublié Smith et les Harven, mais leurs actes du 9 mai 1980 résonnent encore dans les forces de l ordre américaines. Peu après l incident, le bureau du shérif du comté de San Bernardino a acquis un arsenal comprenant 36 armes automatiques et un hélicoptère équipé pour les missions policières. En 1997, le programme 1033, lancé sous l administration Clinton, autorisa l envoi de matériel militaire vers les forces de police à travers le pays. Les attentats du 11 septembre et les événements de Ferguson en 2014 ont renforcé la méfiance et la violence, et des véhicules militaires lourds furent déployés dans les rues. Pour certains, ces évolutions furent nécessaires; pour d autres, elles alimentent les inquiétudes. Massad Ayoob a soutenu que Norco a réveillé la Californie à l idée que des groupes lourdement armés constituent une réalité, et qu il a ajouté que Norco a modifié la formation et l arsenal des forces de l ordre pour le mieux.
