Divertissement
De nos jours, une altercation publique entre musiciens célèbres ne surprend plus guère. Pourtant, dans les années 70, il était inhabituel de voir deux rock stars s’en prendre l’une à l’autre lors d’interviews ou dans la presse musicale. La querelle entre Todd Rundgren et John Lennon illustre parfaitement cette époque révolue. D’un côté, un auteur-compositeur polyvalent connu pour son travail psychédélique avec le groupe Nazz, qui remportera un succès éclatant avec son hymne accrocheur « I Saw the Light », et de l’autre, le légendaire John Lennon, co-créateur de la majorité des titres des Beatles, alors en plein essor de sa carrière solo malgré une période tumultueuse qualifiée de « Lost Weekend ».
La polémique débuta en 1974 lorsque Todd Rundgren s’exprima sans détour dans une interview accordée à Melody Maker. Il dénonça l’hypocrisie de Lennon, qui, malgré des opinions progressistes dans sa musique, affichait un comportement discutable, notamment envers les femmes. Rundgren reprocha notamment à Lennon de prêcher la révolution tout en se comportant comme un « abruti ». Selon lui, les positions affichées n’étaient qu’un stratagème pour attirer l’attention. Par ailleurs, il rappela des faits où Lennon avait été violent, soulignant que certains comportements inacceptables, comme des altercations avec des serveuses, avaient même été évoqués dans ses propres déclarations dans des interviews ultérieures.
Parallèlement, Rundgren ne ménageait pas ses critiques en affirmant que son ancien groupe, le Nazz, était bien plus créatif que les Beatles, reprochant aux Fab Four de se cantonner à leur propre style. Les fans pourront ainsi constater la vivacité et la franchise des échanges, où chaque critique semblait alimenter la rivalité.
Pour répondre aux attaques de Rundgren, John Lennon rédigea une lettre ouverte pleine d’ironie et d’humour. Dans sa missive, il glissa subtilement des compliments ambivalents à l’égard du tube « I Saw the Light », tout en raillant son interlocuteur avec des sobriquets tels que « Turd Runtgreen ». Il réfuta chaque reproche, précisant par exemple qu’il n’avait jamais prétendu être un révolutionnaire et contestant avec humour les accusations de violence. Les sillages de sarcasme se poursuivaient, Lennon soulignant à quel point son style musical englobait de multiples influences, y compris celles revendiquées par Rundgren.
Le conflit, qui aurait pu alimenter des débats sans fin aujourd’hui sur les réseaux sociaux, fut, en réalité, de courte durée. La presse britannique avait contribué à exacerbée la situation, en cherchant à créer le sensationnel. Ainsi, après quelques échanges vifs, les deux musiciens prirent rapidement conscience qu’ils étaient manipulés par les médias. Dans une interview accordée ultérieurement au Guardian, Rundgren évoqua cette mise en scène orchestrée par la publication, reconnaissant que la querelle n’était qu’un stratagème médiatique.
Un aspect controversé du différend fut l’allégation selon laquelle l’interview de Melody Maker aurait déclenché chez Mark David Chapman un sentiment de trahison vis-à-vis de Lennon. Certains avancent que ce reportage amplifia l’obsession malsaine de Chapman pour Rundgren, influençant le drame qui culmina tragiquement en 1980. Toutefois, Rundgren, évoquant ces accusations dans une interview avec le Guardian, déclara ne ressentir aucune affiliation avec Chapman, et rappela que la réalité de sa carrière se connut bien après les événements funestes.
Ainsi, bien que la rivalité entre Todd Rundgren et John Lennon ait suscité l’attention à l’époque, elle s’est rapidement estompée pour laisser place à une époque où les malentendus médiatiques n’avaient pas la longévité des débats actuels sur les plateformes sociales.