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Bien que l’effondrement de l’usine textile à Dhaka en 2013 ne fut ni le premier ni le dernier incident de ce type au Bangladesh, il demeure l’accident le plus meurtrier de l’industrie de l’habillement dans l’ère moderne, selon le journal The New York Times. Le bilan humain, d’une ampleur tragique, a permis aux militants syndicaux de convaincre enfin les propriétaires d’usines et les grandes enseignes occidentales de prendre au sérieux la sécurité dans les ateliers.
Cependant, malgré les changements instaurés en matière de sécurité, certaines organisations, tout en prétendant défendre les intérêts des travailleurs, continuent selon la Clean Clothes Campaign à exagérer leurs avancées et à privilégier le profit au détriment de la sécurité. Par ailleurs, bien que de nombreuses régulations aient été mises en place, le nombre insuffisant d’inspecteurs empêche souvent leur application effective.
Le Bangladesh Accord for Fire and Building Safety, en vigueur jusqu’en 2021, est devenu un élément clé de cette évolution. Pourtant, malgré ses limites, de nombreux défenseurs des droits des travailleurs redoutent que, sans ce cadre, les progrès réalisés en matière de sécurité sur les lieux de travail soient compromis. Cette histoire reflète ainsi la réalité douloureuse de l’effondrement de la plus grande usine textile au monde, entre enjeux humains, industriels et sociaux.
En 1978, le Bangladesh ne comptait que neuf usines de confection orientées vers l’exportation. Ce secteur a depuis connu une croissance fulgurante. En 2021, après la Chine, le Bangladesh s’affirme comme le deuxième plus grand fabricant et exportateur mondial de vêtements, employant plusieurs millions de personnes.
L’industrie du vêtement représente près de 80 % des revenus d’exportation du pays. Plus de 7 000 usines de confection y seraient implantées, et environ 80 % des travailleurs sont des femmes, ce qui témoigne du rôle crucial de cette industrie dans l’économie et la société bangladaises.
Malgré l’ampleur du secteur et la présence de nombreux partenaires internationaux, les ouvriers font face à de graves problèmes sur leur lieu de travail. Ils subissent des pratiques telles que le non-paiement des salaires et évoluent dans des conditions dangereuses. La pandémie de COVID-19 a accentué ces difficultés, certains revendeurs occidentaux ayant tenté de priver les travailleurs de 40 milliards de dollars, une injustice dénoncée dans plusieurs enquêtes.
Avant le dramatique effondrement du bâtiment d’une usine à Dhaka en 2013, les problèmes de sécurité étaient déjà omniprésents. Les bâtiments présentaient souvent des défaillances électriques, un manque d’issues de secours et d’installations anti-incendie, sans oublier des signes visibles de fragilité structurelle. Pourtant, les avertissements des ouvriers étaient fréquemment ignorés, exacerbant ainsi les risques.
Au-delà des risques d’effondrement, les travailleurs subissent aussi des menaces quotidiennes pour leur santé : ventilation insuffisante, exposition aux adhésifs chimiques et à la fumée, autant de facteurs qui les poussent à choisir entre gagner leur vie et préserver leur santé. Ces conditions compromettent durablement leur bien-être physique et mental.
Le 24 novembre 2012, un incendie dévastateur éclata dans l’usine Tazreen Fashion, située près de Dhaka au Bangladesh. Plus de 200 personnes furent blessées et au moins 110 ouvriers perdirent la vie, selon les rapports. Parmi les victimes, au moins neuf moururent en sautant du bâtiment pour échapper aux flammes.
L’incendie aurait vraisemblablement été déclenché par un court-circuit au rez-de-chaussée, même si les circonstances exactes—accident ou sabotage—restent floues. Le feu se propagea rapidement sur les neuf étages du bâtiment, piégeant de nombreuses personnes qui tentaient de fuir. Selon des témoignages, les ouvriers furent initialement trompés par les responsables qui leur assurèrent qu’il ne s’agissait que d’un exercice de sécurité. De plus, les issues de secours étaient verrouillées, empêchant toute évacuation efficace.
Cette tragédie demeure à ce jour le plus meurtrier incendie d’usine au Bangladesh. Malgré l’arrestation de plusieurs individus, dont les propriétaires de l’usine, le procès piétine : à la fin de 2020, seules huit des 104 dépositions attendues avaient été entendues par la justice.
Ce drame ne fut malheureusement pas un cas isolé. En 2006, un autre feu d’usine à Chittagong fit 84 victimes, en raison notamment d’issues de secours bloquées. Quelques mois seulement avant l’incendie de Tazreen, en septembre 2012, plus de 280 personnes périrent dans un incendie similaire à Karachi, Pakistan.
Le 23 avril 2013, des fissures inquiétantes apparaissaient dans le bâtiment du Rana Plaza, situé dans la zone de Savar Upazila, district de Dhaka. Ce bâtiment abritait non seulement quatre usines de confection aux étages supérieurs, mais aussi divers commerces et une banque. Ces activités rassemblaient des milliers d’ouvriers, essentiels à la production textile locale.
En raison des fréquentes coupures de courant, de puissants générateurs électriques avaient été installés au dernier étage. Leur activation provoquait souvent des vibrations dans tout l’édifice. Ce jour-là, lorsque ces générateurs furent mis en marche, les secousses furent suffisamment fortes pour alerter les travailleurs. Ces derniers, effrayés par les fissures qui se formaient, quittèrent l’usine précipitamment.
Un ingénieur fut appelé pour évaluer la structure. Son verdict fut sans appel : le bâtiment était dangereux. Pourtant, les propriétaires, dont M. Rana et les dirigeants des usines, ignoraient ces avertissements. Ils ordonnèrent à leurs employés de reprendre le travail dès le lendemain matin, minimisant ainsi les risques encourus.
Le jour suivant, les managers durent faire face à la résistance des ouvriers refusant de pénétrer dans le bâtiment. Une mère raconta que sa fille de dix-huit ans, Rubina, avait été menacée de ne pas être payée si elle n’allait pas travailler. Pour les rassurer, on leur assura que les fissures avaient été contrôlées et que tout serait sécurisé. Cette combinaison d’intimidation économique et de déni des signaux d’alarme allait bientôt conduire à une tragédie humaine d’une ampleur inédite.
Aux alentours de 9 heures, le 24 avril 2013, le bâtiment de l’usine Rana Plaza s’effondra, réduisant huit étages de béton en un amas de gravats, selon les rapports. Seul le rez-de-chaussée demeura intact. En l’espace de 90 secondes, des centaines de personnes furent brutalement piégées sous des milliers de tonnes de décombres, souligne la presse. Malgré les efforts de sauvetage, le bilan s’annonçait dès le premier jour tragiquement lourd, avec plus de cent morts confirmés.
Huit personnes, dont le propriétaire des lieux, Mohammed Sohel Rana, furent arrêtées pour leur implication dans cet effondrement dramatique. Ce drame faisait écho à d’autres effondrements majeurs survenus au Bangladesh, notamment en 2010, causant 25 morts, et en 2005 où 64 personnes avaient péri dans l’effondrement d’une usine de vêtements Spectrum.
Plusieurs grandes enseignes occidentales, telles que Primark et Walmart, avaient recours aux productions de Rana Plaza. Durant plusieurs jours, les recherches de survivants se poursuivirent dans les ruines. Le travail des secouristes, extrayant corps et victimes des gravats, laissa des traces profondes sur ceux qui y participèrent. Au final, on dénombra 1 134 morts et plus de 2 500 blessés, faisant de cet incident l’une des plus grandes catastrophes industrielles de l’histoire récente.
Un rapport exhaustif de 400 pages portant sur l’effondrement du bâtiment Rana Plaza a mis en lumière la responsabilité partagée de nombreux acteurs dans cette tragédie. En plus d’avoir contraint les ouvriers à retourner dans l’usine malgré les risques évidents, le propriétaire du bâtiment, Sohel Rana, avait construit les quatre derniers étages « illégalement, sans permis ».
Selon le New York Times, le maire lui-même fut pointé du doigt pour avoir accordé à tort les autorisations de construction. Bien que certains permis aient été obtenus, les travaux ont été réalisés en coupant drastiquement les coûts. Construite principalement en béton, la structure manquait d’une quantité suffisante d’armatures en acier, indispensables pour limiter les fissures et assurer la stabilité du bâtiment.
Le Guardian souligne par ailleurs qu’en l’absence de régulation stricte, « il n’y a aucune gestion globale de projet », ce qui conduit fréquemment à des constructions sous-dimensionnées. Ces édifices précaires n’étaient absolument pas conçus pour accueillir un quelconque niveau d’occupation, et encore moins les milliers d’ouvriers qui y travaillaient quotidiennement.
Considérée comme la défaillance structurelle non intentionnelle la plus meurtrière des temps modernes, l’effondrement a été qualifié d’« homicide industriel de masse » par les syndicats internationaux.
D’après le Dhaka Tribune, cinq causes principales ont été identifiées :
- usage de matériaux de construction de basse qualité,
- recours à des fonds non déclarés (argent noir) dans le processus illégal de construction et d’approbation,
- non-respect des règles et normes de construction,
- implantation d’usines textiles au-dessus d’un complexe commercial,
- surcharge du bâtiment par des machines lourdes, combinée à la coercition des travailleurs à entrer dans une structure dangereuse.
La recherche dans les décombres
Les opérations de secours se sont concentrées pendant près d’une semaine à la recherche de survivants, alors que les sauveteurs fouillaient minutieusement les ruines. Cependant, au bout de cinq jours, les autorités ont dû cesser ces recherches pour se concentrer sur le dégagement des débris. Pourtant, certains ont miraculeusement survécu plusieurs jours piégés sous les gravats. C’est le cas de Reshma Begum, une jeune ouvrière de 19 ans, secourue après avoir passé 391 heures emprisonnée sous l’effondrement.
Des corps continuaient d’être extraits des restes de la bâtisse plusieurs semaines après la tragédie. Selon le Dhaka Tribune, une grande partie des victimes retrouvées étaient dans un tel état de décomposition qu’elles étaient méconnaissables. Le service Reuters rapporte que, dès le 13 mai, les recherches ont été interrompues après avoir atteint le sous-sol, où les chances de découvrir d’autres victimes étaient très faibles. Beaucoup de dépouilles ont même nécessité une identification ADN en laboratoire, précise la BBC.
Par ailleurs, la BBC rapporte qu’au bout de quelques jours, un incendie s’est déclaré lorsqu’un ouvrier coupant du métal a accidentellement enflammé des morceaux de tissu dans les décombres. Les équipes de secours tentaient alors de libérer une femme prise au piège qui, malheureusement, n’a pas survécu à cet incendie. Quatre pompiers ont également été hospitalisés suite à cet événement.
En réponse à la tragédie provoquée par l’effondrement du bâtiment de l’usine Rana Plaza, un accord majeur sur la sécurité des bâtiments et des usines au Bangladesh a été instauré. Cet accord, signé par plus de 200 marques internationales et syndicats mondiaux, vise à garantir un environnement de travail sûr pour les employés de l’industrie textile.
Parmi les signataires figurent trois des quatre plus grands détaillants de vêtements au monde : UNIQLO, H&M et Inditex. L’accord ne se limite pas aux simples inspections ; il impose également des rénovations, des mises à niveau et, si nécessaire, la fermeture des usines non conformes. De plus, il établit la responsabilité contractuelle des marques et distributeurs quant à la sécurité des ateliers où leurs vêtements sont fabriqués.
Ce cadre légal moderne entoure un engagement inédit entre travailleurs, gestionnaires d’usines et entreprises de vêtements. Les signataires doivent non seulement accepter les inspections régulières, mais aussi financer les travaux de sécurité et mettre un terme aux relations commerciales avec les usines refusant de se conformer aux normes. Une autre avancée notable est la mise en place d’un système permettant aux travailleurs de signaler anonymement d’éventuelles infractions sans craindre de représailles.
Après la première phase achevée en 2018, un accord de transition a pris le relais jusqu’au 31 mai 2021, date à laquelle aucun nouveau pacte n’avait encore été conclu. Malgré certains débats sur la pertinence de maintenir cet accord, les chiffres révèlent que la situation reste préoccupante : en 2019, une étude menée à Dhaka montrait que seulement 129 établissements sur 3 786 n’étaient pas considérés comme « à risque » ou « extrêmement à risque » par les services d’incendie.
La justice face à la corruption
En 2014, l’agence anti-corruption du Bangladesh a porté plainte contre dix-huit personnes, dont le maire local Mohammed Refayet Ullah, pour corruption et non-respect des normes de construction. Selon des sources fiables, le propriétaire du bâtiment, Sohel Rana, a d’abord tenté de fuir vers l’Inde, mais a été arrêté au terme d’une chasse à l’homme de quatre jours.
En 2015, des poursuites pour meurtre ont été engagées contre quarante-deux individus, dont Sohel Rana, en plus d’accusations liées aux violations des règles de construction. Parmi eux, dix-huit ont été formellement mis en examen. Cependant, en 2016, les procès ont été retardés en raison d’ordonnances de suspension prononcées par la Haute Cour.
En avril 2021, ces procès étaient toujours au point mort, principalement à cause des décisions judiciaires empêchant de juger le maire Refayet Ullah ainsi que le conseiller Mohammad Ali Khan. Si la culpabilité est établie, Sohel Rana et trente-sept autres personnes, y compris des fonctionnaires, pourraient encourir la peine de mort.
En 2017, Sohel Rana a été condamné à trois ans de prison pour avoir accumulé des biens et des fonds par des pratiques corrompues. Avant cette tragédie, les lois du travail au Bangladesh favorisaient largement les propriétaires d’usines, et aucune responsabilité n’avait été attribuée lors d’accidents antérieurs, témoignant d’un contexte réglementaire laxiste.
Après l’effondrement du bâtiment de l’usine textile Rana Plaza, les détaillants de vêtements ainsi que les syndicats mondiaux ont cherché à définir une indemnisation pour les ouvriers blessés ou décédés lors de cet accident tragique.
Cependant, selon la BBC, tandis que certaines entreprises comme Primark ont participé aux discussions, d’autres telles que Walmart ont choisi de ne pas s’engager dans le processus. Il a été estimé que de 30 à 40 millions de dollars étaient nécessaires pour indemniser environ 3 000 travailleurs et les familles des victimes.
Selon la Clean Clothes Campaign, les fonds devaient provenir du Fonds du Premier Ministre et du Fonds des Donateurs Rana Plaza, principalement alimentés par des contributions privées. Primark, pour sa part, a annoncé verser des paiements aux ouvriers de ses fournisseurs via un dispositif privé.
À seulement quelques semaines du démarrage officiel de l’indemnisation en 2014, le Toronto Star soulignait que seulement sept des vingt-huit marques internationales liées à cette usine avaient contribué au fonds. Toutefois, en juin 2015, le Rana Plaza Donors Trust Fund a réussi à atteindre son objectif de 30 millions de dollars, d’après The Guardian.
Le bureau dédié à la compensation des victimes a été fermé en 2016, après vérification que tous les paiements avaient bien été effectués.
En septembre 2016, un organisme spécifique a été mis en place afin d’assurer un soutien médical continu aux travailleurs blessés, incluant des services de physiothérapie et de conseil. Al Jazeera indique que près de 75 % des survivants de l’effondrement du Rana Plaza restent aujourd’hui inaptes au travail, en raison de séquelles physiques et psychologiques durables.
À la suite de l’effondrement dramatique de l’usine textile Rana Plaza, un accord majeur a été instauré pour prévenir toute répétition d’une telle tragédie. Principalement signé par des entreprises européennes et des syndicats, cet accord s’est également allié à la Alliance pour la Sécurité des Travailleurs au Bangladesh, regroupant majoritairement des marques américaines, selon les détails rapportés par PBS.
Le New York Times souligne que ces deux initiatives ont établi des normes de sécurité ainsi que des mécanismes pour leur application. Néanmoins, l’accord, doté d’une clause d’arbitrage légalement contraignante, était considéré comme plus rigoureux. En revanche, l’Alliance ne disposait pas d’une telle clause, mais pouvait imposer des amendes et exclure les membres ne respectant pas ses engagements.
Entre 2013 et 2018, plus de 130 000 problèmes de sécurité ont été détectés dans moins de 2 000 usines textiles. La moitié de ces établissements ont dû être évacués temporairement. Toutefois, il est rapporté qu’environ 85 % des problèmes ont été corrigés au fil du temps. Plus de 100 usines ayant refusé de se conformer aux règles de sécurité ont vu leurs contrats annulés. Après une période de 18 mois, celles qui amélioraient leurs conditions devenaient éligibles à une nouvelle qualification afin de recevoir des contrats.
Cependant, plusieurs des mesures initiales ont expiré en mai 2018. Quand, en décembre 2019, une explosion liée à une chaudière à gaz a entraîné l’effondrement du mur d’une usine sur deux étages, certains ont craint un recul dans la vigilance relative à la sécurité des travailleurs, mettant en péril les années de progrès considérables acquis depuis la catastrophe.
Malgré les progrès significatifs réalisés pour améliorer la sécurité des ouvriers dans les usines textiles du Bangladesh, de nombreux défis persistent encore. Les militants pour les droits des travailleurs craignent que ces avancées n’éclipsent l’ampleur du travail restant à accomplir.
Par exemple, la Clean Clothes Campaign souligne que l’Alliance pour la sécurité des travailleurs du Bangladesh, bien qu’elle affirme s’attaquer aux risques liés à la sécurité, a à plusieurs reprises manqué à garantir des conditions sûres dans les usines, et ce, malgré une connaissance prolongée de ces dangers.
D’après PBS, si la sécurité est devenue une préoccupation dans les grandes usines disposant de partenariats directs avec des détaillants occidentaux sous la supervision de plusieurs initiatives, les employés des petites usines qui travaillent pour des clients domestiques ou en sous-traitance restent particulièrement exposés aux risques. Parmi les usines non couvertes par ces accords, seulement 3 % ont répondu aux exigences de sécurité lors des inspections.
Avec des centaines d’usines à contrôler, assurer un suivi rigoureux est un défi de taille. Plusieurs critiques pointent également une focalisation excessive sur la sécurité des bâtiments et des infrastructures physiques, en négligeant les multiples facteurs qui mettent en péril la santé et le bien-être quotidien des ouvriers.
Par ailleurs, même lorsque des normes de sécurité sont établies, leur mise en œuvre reste souvent insuffisante. Du côté des marques occidentales, une certaine réticence à étendre ces initiatives à une échelle internationale se fait sentir, les amenant à hésiter à conclure de nouveaux accords globaux avec les syndicats.